Ultime présentation en vol.

En ce mois de mai 1976, le porte-avions "Clemenceau" faisait escale à Alexandrie. Il y avait eu des bruits de bottes du côté du Proche Orient et l’on m’avait demandé de quel potentiel "avion, cellule et moteur" nous disposions et quel était le niveau de préparation de l’armement. Mes réponses au chef d’état major de l’amiral étaient simples: en toute modestie (mais oui !) Flottille et pilotes étaient prêts et entraînés. Je terminais mon commandement après cinq années à la 12F, aux soins de laquelle j’avais accordé le plus clair de mon énergie, il aurait été regrettable qu’il en fût autrement. Puis les choses se sont calmées et beaucoup d’épouses sont venues en Égypte.

Soasic et deux de ses amies en faisaient partie. Quand il fut décidé, dans le cadre de notre diplomatie, d’interrompre l’escale et de faire appareiller le Clem pour une journée avec tout le "gratin" des forces armées égyptiennes, ministre et ambassadeur, mais aussi avec les familles, ces trois indépendantes décidèrent d’aller visiter… le Caire. Les avions, elles en avaient assez entendu parler depuis 10 ans et ce, dés le petit déjeuner quand leur mari était là… On pouvait les comprendre!

Pour la présentation, il y avait la moitié du groupe aérien en l’air. Le bateau russe – pardon soviétique – qui nous servait de chien de garde rejoignit la place 1000 yards sur l’arrière du porte-avions dès la sortie des passes. Avec mon équipier, je préparais ce qui devait être ma dernière présentation en vol. Il y avait du beau monde, y compris les Russes. Les conditions étaient idéales et il fallait "impressionner" par la démonstration du savoir-faire aéronautique français… Au "briefing" je précisais à mon équipier les choses (Lascar Bleu 2): "vous connaissez bien sûr les consignes habituelles pour les altitudes. Aujourd’hui voici les ordres: le croisement à grande vitesse se fera à la hauteur du pont – 50 pieds au lieu de 300. Vous, au-dessus de la mer pour le décalage. Moi, je serai un peu plus haut, au-dessus du pont." Il faut dire que ce duo à grande vitesse avec post-combustion constituait un peu le clou de la fête. A l’issue de notre présentation tout le monde appontait: les Crouze après les Etendard, mais avant les Alizé comme d’habitude.

Ce qui fut dit fut fait, mais un peu différemment. A 125 nœuds, tout sorti, travers P.A, j’allumai la post-combustion tout en cabrant et en rentrant crosse, train d’atterrissage et voilure. J’accélérai en ouvrant à gauche, puis déjà à 400 nœuds, renversai à droite, à cadence en accroissement à mesure que la vitesse augmentait ("cadence en accroissement"= nombre de G qui va en augmentant), pour revenir de 3000 pieds vers le Clem au cap inverse et lui-même à grande vitesse à en juger par son sillage. En raison des effets aérodynamiques liés à la vitesse et au facteur de charge et de l’humidité de l’air, l’avion n’était, m’a-t-on dit, qu’une grosse boule blanche. J’étais aux limites autorisées des structures de l’avion et ne pouvais "cadencer" davantage le virage. Quelques secondes avant d’arriver à la verticale du Clem, j’étais toujours en virage à plus de 600 nœuds. L’on me dit plus tard que certains pensaient que j’allais percuter le mât radar… Mais pas moi, tout simplement parce que quelques secondes c’est un espace-temps très long dans ces circonstances pour le pilote.

Si vous n'aviez pas tout compris,
c'est plus clair avec les mains... ;)

Mon co-équipier me voyait bien et il régla sa vitesse pour que le croisement fût parfait. Pour éviter le mât, je remis l’avion à l’horizontale aux ailerons tout en conservant la cadence. Et la boule s’éleva en une courbe serrée à la verticale du Clemenceau à la seconde où Lascar Bleu deux passait à hauteur du pont à plus de 600 nœuds… Sur le dos, à la verticale du porte-avions, à 10 000 pieds, après rétablissement à 300 nœuds, je me mis en virage tranquille. En deux minutes les lascar Bleu étaient rassemblés avant retour à bord : Brin trois, bien alignés. Rien à dire.


J’avais le sentiment d’avoir raté la présentation et je n’étais pas à l’aise jusqu’à l’ouverture de la verrière, quand le patron d’appareil, debout sur les marches-pieds me tendit les sécurités de siège. Il était ravi! Et peu à peu, du PC Pont d’envol jusqu’au retour en salle d’alerte, je compris que "les Lascar Bleu", c’était le top! Je fus appelé à la passerelle par le commandant qui me dit : "Décidément, les Crouze me feront toujours frémir. J’ai cru que vous explosiez pendant le virage. Cette boule blanche…!"

Au déjeuner officiel, je fus placé à la gauche de l’épouse du chef d’Etat-Major des Armées égyptien, très belle femme, très fine, parlant un excellent français. Elle n’en avait que pour les Lascar Bleu et me fit parler d’avions avant de me confier que son frère était pilote de chasse. Puis nous philosophâmes de concert sur la guerre et la paix… que l'Égypte et sa famille avaient connues l’une et l’autre.

Des souvenirs partagés avec mon co-équipier: ce jour de printemps égyptien reste le meilleur souvenir commun.

Goz Beïda, le 2 juillet 2002

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