Vendredi 13 au Niger (2007)

C'était un mercredi, le 11 juillet 2007. J’étais à Zinder depuis déjà deux semaines quand, en ce début d’après-midi chaud, mon téléphone portable se mit à vibrer. Au bout de la ligne, la voix aimable de la responsable du comité international de la Croix rouge – CICR – pour le Niger se fit entendre.
De Niamey (la capitale), elle me demandait s’il était possible de transporter deux responsables du CICR en provenance de Genève le vendredi suivant, c’est-à-dire le surlendemain, entre Niamey et Arlit, pour y effectuer une mission de première importance. Ma réponse fut bien sûr affirmative et je lui dis que je la rappellerai le soir même après étude des conditions de déroulement du vol.


Carte du Niger
(source carte: ici)
Arlit se trouve à l’ouest du massif de l’Aïr. C'est le lieu d’extraction du minerai d’uranium par la société française AREVA. Un terrain privé s’y trouve mais dans mon dossier, je ne disposais ni de la position et de l’orientation de la piste, ni de ses dimensions… Je savais seulement qu’on n’y trouvait pas d’essence, que la saison des pluies était bien là, que le plus proche terrain (Agadès) se trouvait à une heure de vol et Niamey à un peu plus de quatre heures, avec une autonomie pour le Cessna 182 ne dépassant guère cinq heures.

Photo aérienne du Niger
(source photo: ici)

Quant à l’Aïr, ce massif montagneux au milieu du désert, son contrôle échappait au gouvernement: deux semaines après avoir attaqué à la nuit tombante l’aéroport d’Agadès (j’avais pu observer les balles traçantes passant au-dessus de la cour de l’hôtel où je me trouvais en ce dimanche 17 juin, le lendemain de mon arrivée dans cette ville) les rebelles avaient décimé une compagnie de l’armée nigérienne au pied du massif, tuant 15 soldats, en blessant 25 et en faisant prisonniers 45 autres dont leur commandant… Cette situation m’avait valu de l’Ambassade de France un vif encouragement à quitter Agadès où j’étais devenu, à leur dire, une cible pour être assassiné ou enlevé… J'avais depuis déménagé à Zinder.

Bordure sud-ouest du massif de l'Aïr
Après étude, je rappelai le soir-même la responsable du CICR pour lui signifier mon intention de décoller au plus tôt le vendredi. "Pas avant 8 heures pour motif de contraintes diplomatiques diverses" me répondit-elle. Je signalai mon intention d'emporter 80 litres de carburant en jerricanes en lieu de troisième passager et de me mettre en place la veille (le trajet de Zinder à Niamey nécessitant 4 heures de vol) pour assurer la mission. Je lui précisai que l’avancement de la saison des pluies était tel qu’il était impératif de décoller tôt pour éviter les orages de fin d’après-midi et le vent de sable…

Vent de sable sur l'aéroport de Niamey
Je précisai par courriel mon programme à A.S.F. La réponse du président ne tarda pas: évitez de vous mettre en place la veille pour économiser une chambre d’hôtel… Je me dis que mon cher Président avait bien tout compris de la situation.

D'une manière générale, je sentais mal cette mission de 3 mois au Niger. Depuis le début et même avant, j’étais mal à l’aise. Pour commencer, le responsable de la mission Niger m’avait demandé d’arriver plus tôt que prévu car mon prédécesseur était sur le point de craquer. Puis il m’avait demandé de prolonger jusqu’au 10 septembre (15 juin-dix septembre, c’est long pour un pilote seul, sur les rives du Ténéré, dans un pays politiquement instable) avec à la clé un déménagement d’Agadès à Zinder… Ne m’avait-on pas également certifié, avec un aplomb "d’ancien du Niger", qu’il n’y avait pas de saison des pluies dans ce pays (j’appris – plus tard – qu’on s’était toujours gardé d’ y aller en juillet et en août…)? Or depuis début juillet je découvrais la réalité du vent de sable et des orages.

Je m’étais préparé mentalement pour cette mission, ma dernière mission pour ASF, mais ce vol du vendredi 13, je le sentais décidément très mal. Comme je le faisais quand j’étais plus jeune et alors pilote de Crusader et que s’annonçaient des vols difficiles, je rangeai papiers et courriers avec la mention "détruire en cas d’accident" pour ce qui n’intéressait que moi, et j’écrivis quelques lettres posées en évidence dans ma chambre, pour le cas où…
Le jeudi, je partis de Zinder en me faufilant entre les masses orageuses pour arriver sans problème à Niamey. Zinder est à 700 kms à l’est de Niamey et la masse orageuse se déplaçait selon un axe sud-est/nord-ouest pour emboutir l’axe Niamey/Arlit dans un avenir proche. Vendredi 13 au matin, levé dès 5h30, j’étais au bureau des vols de l’aéroport dès 6h30. J’y déposai mon plan de vol et pensai trouver tous les renseignements sur Arlit. Las! Le terrain étant privé, il n’y avait aucune fiche dans les bureaux officiels, seulement une position dont on ne pouvait me dire si c’était celle du milieu ou du début de la piste, piste dont par ailleurs on ignorait la longueur et l’orientation. Quant à l’ingénieur météo, un Nigérien d’expérience, il ne fit pas mystère de la nécessité d’arriver avant midi car sur Agadès, l’Aïr et Arlit, la fin d’après-midi serait difficile: la perturbation aperçue la veille à Zinder arrivant justement sur la zone désertique chauffée par le soleil à son zénith!
De l’hôtel j’avais emporté une mangue, de l’eau sucrée, du pain avec de la confiture: de quoi tenir en vol pour une arrivée vers 12 heures… Il était 12h30 quand je décollai enfin le F.OJJG Cessna 182 avec qui j’avais déjà vécu beaucoup d’heures intenses en 2005 puis 2006 en République Centre africaine, et depuis mon arrivée au Niger. J’avais dû reconduire le plan de vol d’heure en heure et j’étais retourné consulter la météo espérant un miracle… Mes passagers, arrivés avec quatre heures de retard de Genève, s’étaient posés à 8 heures au lieu de 4 et avaient consacré leur matinée à faire leur visite aux ministres et autorités diverses dont leur mission particulière relevait.
A 12h15, j’avais vu arriver un homme jeune (40-45 ans), Suisse, arabophone, en poste au Proche Orient qu’il avait quitté l’avant-veille (j’appris plus tard qu’il avait passé deux jours sans dormir…). Une femme plus âgée, Suissesse, l’accompagnait. Tous deux étaient souriants, désolés de leur retard auquel ils ne pouvaient rien mais…
Bagages et passagers prirent place dans l’avion, lui devant à ma droite, elle derrière. La première heure de vol fut consacrée à leur dînette. Pour ma part mangue et sandwich-confiture m’avaient calé. J’étais entièrement habité par le vol. Ma bouteille d’eau sucrée devait me suffire pour tenir les quatre heures suivantes en volant au plus près du sol pour bénéficier d’un vent favorable.
La première heure, la visibilité était bonne, la vue au sol rassurante, les turbulences supportables, la liaison radio longue portée en HF presque bonne. Mes passagers rassasiés, souriants, bien installés. Mais je savais bien que les meilleures choses ont une fin. Avec le vent et la chaleur, le sable se soulève. Après une heure de vol, je passai au pilotage aux instruments. J’avais confiance dans le petit (et unique) horizon artificiel et confiance en mon savoir- faire. Mais c’est plus de trois heures à être secoué par les turbulences et à être noyé dans un magma jaunâtre que j’allais devoir subir. Mon voisin se mit à vomir ce qu’il avait avalé une heure plus tôt. Ma passagère, elle, dormait: la meilleure chose qu’elle eût à faire. Bientôt je perdis toute liaison radio avec Niamey. Le ciel était vide d’avions. C’était vendredi 13 et j’avais laissé du courrier pour le cas où… Après trois heures de ce régime, par 40°, c’était à un véritable combat que je me livrais pour tenir l’avion en ligne de vol, avec une terrible incertitude sur la réussite de la recherche d’une piste de sable dont je ne savais rien sinon la position approchée, encore que mon GPS personnel fût d’un avis légèrement différent de celui du bord quant à la position relative de la piste par rapport à l’avion! Un écart toute de même de deux degrés en direction et d'un mille nautique (1852m) en distance. C’est peu et beaucoup quand la visibilité est réduite à un kilomètre.

Nous étions à un peu moins de 50 MN (90 kilomètres environ) du but quand le premier choc se produisit: turbulences violentes balançant l’avion en roulis tout en le secouant dans le plan vertical, pluie intense s’infiltrant dans la cabine. Sans préavis, noyé dans le sable, j’avais percuté un orage tropical de fin d’après-midi. Je gardais les yeux verrouillés sur l’horizon artificiel, le ramenant à l’horizontale en pilotant de façon à lafois ferme et vive " pieds et mains" pour garder en ligne de vol un avion qui ne demandait qu’à partir dans le tourbillon environnant. L’altimètre grimpait, m’éloignant du sol, signe d’un violent thermique car la vitesse indiquée ne changeait pas, sinon de plus ou moins 10 nœuds en fonction des rafales. Quant à la vitesse-sol donnée par le GPS, elle avait cru d’un coup de plus de 35 nœuds, donnant un vent de 50 nœuds soit près de 100 km/heure! Je me demandais combien de temps nous pourrions tenir, moi à piloter mon petit horizon et l’avion à ne pas perdre un aileron ou sa commande de profondeur! Un instant écrasé sur le siège, un autre la tête collée au plafond, ma passagère était sortie de son sommeil et mon voisin avait trop peur pour être malade! Cela dura ainsi quelques minutes puis, tout à coup, ayant pris 2000 pieds sans le vouloir, il n’y eut plus ni turbulences ni sable, ni nuages.
Je voyais pour la première fois depuis trois heures un désert détrempé. Bientôt Arlit me répondit sur la fréquence VHF* (very high frequency). J’appris que le contrôle aérien de Niamey avait cherché à me joindre pour nous dérouter sur Agadès deux heures plus tôt, que l’aérodrome d’Arlit avait été fermé (visibilité nulle, plafond zéro sous orage). Le contrôleur me pressait d’arriver ; les cumulo-nimbus entouraient le terrain, la visibilité était réduite à 3 km. Mais il y avait encore 25 minutes de vol à effectuer et une barrière de cumulo-nimbus à franchir. Je redescendis à proximité du sol, pénétrai bientôt à nouveau dans l’atmosphère saturée de sable, perdis le contact avec le contrôleur… puis le même cauchemar en pire se reproduisit. Cette fois je pensais que mon heure, comme celle de mes passagers, était arrivée car la violence des chocs et celle de mon pilotage pour contrer la bascule de l’avion en roulis et le garder enligne de vol étaient telles que j’attendais le moment que je croyais inéluctable où l’avion allait se briser. En quelques dizaines de secondes nous avions été soulevés de 5000 pieds. C’est alors que le miracle se reproduisit: nous volions dans un ciel dégagé avec vue d’un sol toujours aussi désertique mais détrempé vers lequel, salut oblige, je fis plonger l’avion. Le contact radio rétabli, il restait à franchir une barrière noirâtre qui coupait la route du terrain, situé maintenant à 20 MN à peine…
Je décidai de tenter de la contourner par le nord-ouest puis de la franchir en oblique, au ras du sol selon une courbe où le point visé serait maintenu à 30 degrés droite. Mes passagers étaient pleinement éveillés et nous dialoguions par micros et casques interposés. 12 MN, 30° droite, 10 MN 30° droite, 8 MN 30° droite. L’optimisme renaissait, la barrière était un peu moins noire, les rafales moins violentes et moins fortes tandis que le contrôleur répondait à mes questions: axe de la piste, marques de reconnaissance à ses extrémités, ne pas confondre avec la route à quatre voies en sable (parallèle à la piste "en dur" actuellement recouverte de sable…) et puis le vent fort et de travers, bien au-delà des limites autorisées pour le Cessna 182!

4 MN, 10° droite et la visibilité qui s’améliore. Et puis là, devant nous, la piste, l’autoroute… Bien distinguer l’une de l’autre, choisir un axe d’atterrissage. Je pose enfin l’avion, commandes croisées, palonnier à fond à droite, gauchissement plein gauche pour le maintenir dans l’axe de la piste malgré les rafales de vent traversier. Un premier choc, l’avion malmené mais qui ne casse pas, qui ralentit et s’arrête enfin. Roulage précautionneux, arrivée à l’aire de stationnement. Un coin désert dans le désert. Le sable qui fuse à l’horizontale. Mes passagers bientôt enlevés par un premier véhicule. Leur mission – que je ne connaîtrai que plus tard – exige sans délai une première rencontre avec les autorités locales.
Je campe seul le F-JG, amarré à des bidons remplis de béton. Je l’encapuchonne avec soin, toutes les prises statiques et dynamiques soigneusement bouchées. J’appelle à la radio le contrôleur (il "contrôle" depuis un bureau dans les locaux d’AREVA à quelques km de là) qui fait envoyer un véhicule. 20 minutes plus tard j’arrive à l’hôtel plutôt misérable, à moitié inondé, où je pose mon sac, change de chemise pour me préparer au dîner. Ah si Zola était là!

Amarrage de l'avion avec des bidons remplis de béton
(Arlit)

Effets du ventsur un avion mal campé
(Agadès)

Un peu plus tard, j’y retrouve mes deux Suisses et nous partageons un repas chaud et reconstituant. Ils me racontent leur périple qui depuis Damas, qui depuis Zurich, via Genève puis Casablanca (4 heures d’attente qui faillirent nous être fatales) jusqu’à Niamey et Arlit, qui n'était que le début d’un autre voyage pour eux le lendemain à la première heure à destination de l’Aïr… mais ils ne pouvaient à l’évidence pas m’en dire plus. En échange je leur expliquai la situation météorologique et le pourquoi de ma volonté de décoller dès 8 heures le matin, encore que 6 heures eût eu ma préférence. Je leur demandai s’ils avaient eu peur ; gentiment ils me dirent que la confiance que je leur avais inspirée leur avait évité de ressentir la peur… Délicatesse suisse oblige. Je leur dis bien franchement que j’avais craint pour l’avion une rupture de structure et les priai d’excuser un atterrissage mouvementé pour cause de dépassement des limites d’emploi.
A 7 heures le lendemain, nous nous séparâmes. Le ciel était bleu, l’atmosphère calme, l’air limpide Je regagnai seul l’aire de stationnement déserte avec le véhicule prêté par mes nouveaux amis. Le chauffeur immédiatement reparti pour les emmener vers leur mission, je me mis en peine de hisser sur l’aile et sans échelle le bidon de 50 litres pour compléter le plein. De ce terrain peuplé de fantômes je décollai sous un ciel serein dans un air tranquille. La ville s’étendait à ma droite. Bientôt je longeai l’Aïr à ma gauche d’où toutes sortes de torrents sortaient pour venir se perdre dans le sable du désert. 55 minutes plus tard je me posai à Agades. J’y retrouvai Moustapha, l’essencier, et le commandant de l’aérodrome, presque un ami. L'aérodrome était désormais aux mains des militaires. Pleins faits, 30 minutes plus tard je repartis pour Zinder.

Ville d'Agadès
A midi et demi j’étais de retour dans ma chambre quittée quarante-huit heures plus tôt. Nous étions le samedi 14 juillet. La France était en fête. Je retrouvai mes lettres à faire parvenir pour le cas où… Ce ne serait donc pas pour cette fois. Soazic n’était pas veuve, ni les enfants orphelins. La vie continuait. Comme avant. Pour d’autres missions au bout du désert du Ténéré, celles qui n’allaient pas tarder à m’être demandées mais pour ces fois-là dans des conditions plus aisées… quoique tout aussi chaleureuses.
Favone (Corse duSud), le 29 mai 2008.

P.S. Mes amis Suisses, appris-je plus tard, étaient mandatés par le CICR pour négocier la libération de trois soldats nigériens gravement blessés et d’un géologue chinois pris en otage. Négociation réussie, me dit-on...

Chute libre (1993)

Désolé pour cette publication fort en retard. Je reviens, en changeant de vecteur pour cette fois...
--
J’ai choisi "chute libre" parce que j’y suis venu après avoir définitivement quitté la "chasse" et le Crusader, exactement un an après, en automne 93 sous d’autres cieux, d’autres latitudes. C’était dans le parc du Djoudj au nord du Sénégal. J’avais effectué moins de trente sauts en trente ans, en parachute dit à ouverture automatique. Je les avais tous effectués en sautant d'un Dakota ou d'un Nord 2500, d'abord à Salon de Provence en 1963 puis ici ou là autour du monde quand j’étais chef de service sur la Jeanne en 1969/70 et enfin à Dakar en 1992/93. Mais là, il s’agissait de chute libre, il s'agissait de sauter d’un monomoteur Pilatus volant à 4000 mètres armé d’un parachute à ouverture commandée… 3000 mètres plus bas! Retrouver le grand espace, les sensations du monoplace, celles des piqués et des figures de voltige et même la possibilité de voler en "patrouille" (en vol relatif) avec d’autres, et terminer en pilotant le parachute ouvert ce qui est assez proche finalement du pilotage d’un parapente! Un vieux rêve enfin réalisé, dans un site superbe et sauvage.
Ce jour de juin 2001, je suis depuis trois jours à Pau avec un parachutiste titulaire de plus de 5 000 sauts, conseiller amical pour l’éternel débutant que je suis. Nous avions fait plusieurs vols - ou plus précisément plusieurs sauts - ensemble la veille et le jour même. En cette fin de matinée, je pars pour un saut de voltige en solo. Quelques cumulus dans les azurs entre 600 m et 1000 m, notai-je au passage, pendant la montée. Nous sommes neuf dans la cabine exiguë du Pilatus. Tout en regardant le panorama des Pyrénées dominant la plain, je me concentre sur ce que je devrai faire pendant la descente.
Arrivés à la bonne altitude, la porte s’ouvre, les premiers partent. C'est mon tour: sortie de l’avion, bras écartés en extension, tout comme la tête et le buste, rechercher la position qui se stabilise rapidement puis, du regard, identifier la zone de poser… 4000 mètres plus bas. A 20 secondes par 1000 mètres, cela donne une minute avant d’actionner le système d’ouverture, le temps d’effectuer une série de figures, tonneau gauche, droite, salto avant, salto arrière… Raté! Je me retrouve en piqué, m’efforce de retrouver la bonne position, finis par y parvenir... tout redevient conforme à ce que doit être une descente contrôlée.
2500 m à l’altimètre qui me tient lieu de montre au poignet gauche. Bon, allez, on se calme: je décide de profiter des 30 secondes qui me restent à sentir l’air qui défile à 200 kms/h. 1200 m, 1000 m, position d’ouverture: main gauche et avant-bras gauche replié, devant la tête. Ma main droite saisit le "hand deploy"*, j'étends le bras pour le larguer… C’est un système réputé fiable à 100%. Reprise de la position de descente. Dans la seconde, je vais ressentir le choc, toujours assez violent, de l’ouverture. Je vais… Je vais… Je ne ressens rien! Il ne se passe rien! Les choses vont vite dans la tête. Je me dis que cette situation est sans avenir et qu’il me faut faire ou décider de faire – ou de ne pas faire – quelque chose. Et trois solutions se présentent à mon esprit que l’adrénaline active :
  1. attendre sans rien faire en attendant que cela s’ouvre avant l’altitude de 400m.
  2. attendre sans rien faire que le secours s’ouvre automatiquement** à 300m. Mais il risque de s’emmêler dans le "hand deploy" ou bien, il risque de provoquer l’ouverture du parachute principal avec la possibilité que le tout s’emmêle…
  3. agir: larguer le parachute principal selon la procédure deux cents fois répétée mentalement et m’en remettre au secours, ce petit parachute qui m’a déjà bien servi dans d’autres circonstances.
La résolution de larguer un parachute principal n’est pas de celles que l’on prend le cœur léger, mais c’est ce que je décide de faire. Je baisse les yeux et appuie mon menton contre ma poitrine pour bien voir la boucle à droite, à la hauteur de la taille. Je la saisis de la main droite, puis saisis ma main droite avec ma main gauche, comme la procédure le prévoit. Ce faisant mon corps, déséquilibré, bascule sur l’avant: je viens en piqué accentué et tire la poignée de largage avec mes deux mains. Je n’ai pas le temps de prendre la poignée de secours que déjà le secours s’ouvre, sans temporisation. Le choc est très violent, ma colonne en prend un vieux coup et je crois que mes vertèbres vont rompre! Et puis tout à coup le calme, le silence…la sérénité retrouvée. Ouf ! Je m’en suis sorti.
Je note que je suis à la base des nuages, vers 600m. Je calcule qu’à 50 m/seconde, il s’est passé 8 secondes entre le moment où j’ai décidé d’ouvrir le parachute principal et celui où le secours s’est ouvert. 8 secondes! Pas 8 heures?... Que de choses en 8 secondes: découverte d’une situation, analyse, recherche de solutions, décision, exécution. C’est aussi cela qu’apporte la fréquentation de la troisième dimension et de l’aéronautique, avec la dilatation du temps lorsque le danger est là et qu’il faut y parer.
J’ai depuis eu l’explication de l’incident, c'est un cas qui se produit très rarement. Trois parachutistes avertis (entre 5 et 8000 sauts) m’ont depuis conforté dans ma décision de larguer le principal. La bonne solution puisque elle me permet aujourd’hui de raconter ma petite histoire.
Goz Beïda le 18 juillet 2002.

--
* Le "hand-deploy" est un tout petit parachute placé sur le sac du parachute principal. Il est actionné par la main droite du parachutiste en chute et permet l'extraction de la voile principale .



** Un petit appareil provoque l’ouverture du parachute de secours à l’altitude affichée par le chuteur - en principe 300 mètres- si la vitesse de descente à ce moment est excessive (parachute non ouvert ou déchiré). Il fonctionne grâce à un système barotraumatique qui mesure la pression atmosphérique en même temps que la vitesse de croissance de celle-ci .

Rencontre avec un "NOVNI" (non-objet volant non identifié ; 1974)

Si vous n'aviez pas tout compris à la présentation en vol (anecdote précédente), on vous la réexplique avec les mains dans une petite vidéo ajoutée ce matin...

--
Nîmes-Garons, Printemps 1974.

J’étais second de la Flottille 12F, à la tête d’un détachement basé dans le sud pour assurer les concours nécessaires à l’entraînement de l’escadre de Méditerranée.

En cet après-midi chaud et ensoleillé, je fus appelé aux "opérations" de la base: un message confidentiel émanant de Toulon exigeait l’envoi immédiat d’un Crusader avec un pilote ayant toute qualification, aux ordres du centre de contrôle de la zone d’approche de Hyères. Aucun détail n’était fourni sur la mission dont on savait qu’elle était urgente, importante… et "protégée". Je désignai le Premier Maître Alpha qui avait toutes les compétences requises. Mais trente minutes après son départ, Hyères demandait un deuxième avion, au motif que le radar du premier était tombé en panne. Et c’est ainsi que je partis pour le sud de Hyères où soufflait un bon mistral. Du moins savais-je que l’exécution de la mission exigeait un bon radar. C’était le cas de celui de mon avion.

A 15 000 pieds, je reçus les premiers ordres de l’approche: " Pour la suite du vol limitez-vous à la phraséologie strictement réglementaire. Vous effectuerez au retour un message de compte-rendu détaillé." Puis l’on me demanda d’intercepter un "écho" à faible vitesse, d’altitude inconnue. Effectuant une recherche en site avec le radar de bord, je finis par le détecter puis, par calcul mental, à déterminer son altitude approchée. Je stabilisai alors l’avion légèrement plus bas pour ne pas être gêné par les échos de terre saturants. Prenant une vitesse confortable – 300 nœuds – je m’approchai de l’écho puis verrouillai le radar en poursuite: instantanément j’obtins une indication de vitesse très élevée (plus de 600 nœuds) et le radar "déverrouilla". Reprenant le contact sur l’écran-radar je m’approchai et, "les yeux dehors" cherchai l’objet en question, ne vis rien et finis par dépasser l’emplacement où il aurait dû se trouver. Je signalai sans autre commentaire: "objectif non vu".

C’est ainsi que, trente minutes durant, je multipliai les passes avec chaque fois les mêmes remarques et sans jamais rien voir. A un moment je fus tenté de demander si ce que je cherchais était rose avec deux grandes oreilles (un éléphant volant bien sûr) ou rayé blanc et bleu avec une grande queue et un museau pointu? Mais je n’en fis rien. En vol je suis plutôt bref et précis quand je parle. Et je parle peu. Au bout de 45 minutes, il me fut ordonné de dégager vers Nîmes et l’on me rappela qu’il me faudrait faire un compte-rendu. Rentré à Nîmes je mis comme intitulé dans "objet du message ": "Non-objet volant non identifié."

Ce fut classé avec le degré de protection ad hoc et je n’eus jamais de réponse. Mais j’appris tout de même que dans la salle d’approche écoutant, regardant, ordonnant tout, se trouvait le commandant de l’aéronautique en troisième région maritime: ce capitaine de vaisseau était une "personnalité affirmée", comme l’on dit pour ne faire de peine à personne, qui n’était pas réputé pour son sens de l’humour … Et je compris alors que "rats bleus et éléphants roses" n’auraient pas vraiment été de mise sur les ondes.

J’appris aussi plus tard que le dit-écho se trouvant à proximité du centre d’essais de la Méditerranée, d’aucuns se demandaient ce qu’avaient pu inventer soviets ou chers alliés ou tout autre curieux pour venir voir ce qu’on y fabriquait… Plus tard encore, on me dit qu’un morceau de ferraille posé non loin du radar d’approche avait provoqué un phénomène électromagnétique "matérialisé par un nœud d’ondes" que le radar du Crouze aurait été à même de détecter…

Pour moi – et pour le journal de marche de la 12F – cela reste un non-objet non identifié, piloté par un petit homme vert… C’est à la fois plus amusant et plus mystérieux. Il n'est pas interdit de rêver… ;)

(source dessin: lapinoo.com)


Goz Beïda le 11 juillet 2002