Une evacuation sanitaire à surprises (août 2004)

Goz Beida, le 14 août 2004.

Avec le vieux Cessna C185 d’Aviation Sans Frontières - 40 ans d’âge et volets en commande manuelle - basé à Goz Béïda, je me sentais un peu chez moi. En effet, c’était le troisième séjour que j’effectuai dans cette petite ville du Tchad, le deuxième en saison des pluies. Bien sûr, les choses avaient quelque peu évolué depuis 2002 avec l’arrivée de plus de trente mille réfugiés venus du Darfour voisin et de l’organisation du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR).

Camps de réfugiés (Djabal)

Parti de Marignane avec un radio H.F sensée permettre d’établir les liaisons à grandes distances, malheureusement hors service, pour une traversée de la Méditerranée puis du Sahara jusqu’à Ndjaména, nous étions finalement arrivés l’avion et moi à pied d’œuvre à la mi-juillet. Attendus comme le messie, nous allions servir de taxi-ambulance principalement au profit des membres de deux ONG italiennes travaillant dans les camps de réfugiés de Djabal (la montagne) et de Goz Amir (le sable sombre).

Distants de 40 kilomètres à peine mais isolés par les pluies, il n’y avait plus que les ânes et les (petits) avions pour faire la liaison entre les deux camps. Si le premier, proche de Goz Béïda, était desservi par des avions de bonne capacité de transport utilisant une piste bien agrandie depuis mon précédent séjour, tel n’était pas le cas du deuxième situé à proximité d’une "piste" de 450 mètres de long à peine et de 10 mètres de large, faite d’un mélange de terre et de petits cailloux. Pour aller jusqu’à ce camp, représentants des organismes onusiens et autres importantes personnes empruntaient le très modeste Cessna sans que pour autant la priorité ne fût volée aux ONG et plus encore aux malades nécessitant une évacuation sanitaire.

Un Transall (Goz Beida)

Ce jour-là justement il me fallait transporter un jeune et sympathique Italien en charge de la logistique, menacé de perdre un œil s’il n’était pas évacué sans délai sur l’Italie où l’attendaient les meilleurs soins aptes à le sauver. Nous devions partir début matinée pour lui permettre de prendre à Ndjaména le soir même le courrier d’Air France vers Roissy, avec correspondance vers Rome.

Sur le départ (Goz Amir)

Par téléphone satellite j’avais joint la station météo sur la capitale: rassurant, l’ingénieur m’avait signalé une forte concentration orageuse au sud de la ville se déplaçant vers l’est, sans risque de perturber le trafic aérien. C’est donc serein que je décollai 45 minutes plus tard en montée vers un niveau de vol me faisant bénéficier d’un vent portant à approximativement 3000 mètres. Peu après décollage, grâce à un relais radio situé à proximité de Goz Beïda, je contactai en VHF le contrôle de Ndjaména, précisant le niveau de vol, l’autonomie, l’heure prévue d’arrivée, l’absence de liaison à grande distance en HF et la mission d’évacuation sanitaire. Peu après je perdis comme prévu tout contact radio. Il me fallait attendre deux bonnes heures avant de commencer à entendre les contrôleurs et quelques minutes de plus pour que ceux-ci puissent me recevoir.

Le ciel était clair et mon passager tout à fait détendu quand je passai Mongo, à mi-parcours. Pour lui tout était "sur les rails" et il pouvait penser que son œil allait être sauvé.
Puis je vis l’horizon s’assombrir et bien que hors de portée VHF du contrôle, je pus bientôt recevoir un Transal de l’Armée de l’Air française dialoguant avec Ndjaména. La teneur de ses messages me fit comprendre qu’il se passait quelque chose et j’entrai en liaison avec lui. J’appris bien vite que l’aérodrome de Ndjaména était doublement fermé en raison d’ un orage tropical et du décollage en attente de l’avion du Président!

Je demandais alors au Transal de faire le relais radio pour signaler ma position et demander des instructions. Je n’eus jamais la réponse car le commandant de bord avait décidé de se dérouter sur un autre aérodrome et il quitta la fréquence. Je me retrouvai seul avec peu de carburant, sans radio et une évacuation en urgence.

Je pris l’option "sûre" et fis demi-tour pour un déroutement sur Mongo. Belle météo, belle piste mais… pas d’essence ce qui signifiait que mon passager ne pourrait pas prendre l’avion du soir et être opéré le lendemain. Prenant le temps de la réflexion, je me rappelai alors m’être posé deux ans plus tôt sur une petite piste à trente minute de vol au nord de Ndjaména, facile à repérer car située au bord du fleuve Chari. Consultant mon GPS personnel, j’en trouvai les coordonnées et décidai alors de mettre le cap dessus avec la conviction que j’y arriverai avant l’éventuel passage de l’orage tropical. De là j’aurai assez de carburant pour rallier Ndjaména en temps utile pour mon passager.
Tempête au sol, tempête sous mon crâne, mais rien de tout cela ne transparaissait pour mon ami italien. C’est beau la confiance! 

La météo ne s’améliorant pas, je dus commencer la descente pour rester en conditions de vol à vue. Bientôt je commençai à entendre le contrôle et plusieurs avions du trafic commercial en attente… Enfin je pus établir le contact avec un contrôleur et lui fis part de mes intentions. Las! le secteur dans lequel je descendais était réservé à l’avion présidentiel après son éventuel décollage. En conséquence il m’était interdit. Mais alors que faire? Il est des cas où il faut savoir ne pas bien comprendre ce que l’on vous dit et c’est ce que je fis. 

Descendant pour rester en vue du sol tout en me rapprochant de mon petit terrain, je dus être détecté car brusquement la voix du contrôleur se fit sévère. Mais j’étais sur le point de sortir du secteur et confirmai la faiblesse de mon autonomie, le caractère d’urgence de l’évacuation sanitaire et donc de mon choix de déroutement, je n’en avais pas d’autre possible. Le ton du contrôleur se fit alors plus aimable avant que quelques minutes plus tard il m’annonce la fin de l’orage, le décollage de l’avion présidentiel et… ma qualité de numéro un à l’atterrissage à Ndjaména. 

Le roi n’était pas mon cousin quand je me présentai pour la piste 09 pour une approche finale qui me fit survoler le Chari. Quatre Mirage de l’Armée de l’Air étaient au point de manœuvre avant alignement, attendant sagement que je me pose. Le reste du trafic commercial suivait!
Arrivé sur l’aire de stationnement je vis un avion bimoteur de plusieurs tonnes que le vent d’orage avait sorti de ses cales, sauvé du désastre par les sangles qui le tenaient souplement mais fermement au sol.
Mon ami italien fut opéré à Rome le lendemain et revint un mois plus tard à Goz Beida. En janvier suivant, il vint passer quelques jours dans mes montagnes en France, avec trois autres membres de l’ONG italienne. Il neigeait et nous en étions tous ravis.


Le Peyréga, le 28 août 2012
Goz Beida, le 14 août 2004.

Avec le vieux Cessna C185 d’Aviation Sans Frontières - 40 ans d’âge et volets en commande manuelle - basé à Goz Béïda, je me sentais un peu chez moi. En effet, c’était le troisième séjour que j’effectuai dans cette petite ville du Tchad, le deuxième en saison des pluies. Bien sûr, les choses avaient quelque peu évolué depuis 2002 avec l’arrivée de plus de trente mille réfugiés venus du Darfour voisin et de l’organisation du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR).

Camps de réfugiés (Djabal)

Parti de Marignane avec un radio H.F sensée permettre d’établir les liaisons à grandes distances, malheureusement hors service, pour une traversée de la Méditerranée puis du Sahara jusqu’à Ndjaména, nous étions finalement arrivés l’avion et moi à pied d’œuvre à la mi-juillet. Attendus comme le messie, nous allions servir de taxi-ambulance principalement au profit des membres de deux ONG italiennes travaillant dans les camps de réfugiés de Djabal (la montagne) et de Goz Amir (le sable sombre).

Distants de 40 kilomètres à peine mais isolés par les pluies, il n’y avait plus que les ânes et les (petits) avions pour faire la liaison entre les deux camps. Si le premier, proche de Goz Béïda, était desservi par des avions de bonne capacité de transport utilisant une piste bien agrandie depuis mon précédent séjour, tel n’était pas le cas du deuxième situé à proximité d’une "piste" de 450 mètres de long à peine et de 10 mètres de large, faite d’un mélange de terre et de petits cailloux. Pour aller jusqu’à ce camp, représentants des organismes onusiens et autres importantes personnes empruntaient le très modeste Cessna sans que pour autant la priorité ne fût volée aux ONG et plus encore aux malades nécessitant une évacuation sanitaire.

Un Transall (Goz Beida)

Ce jour-là justement il me fallait transporter un jeune et sympathique Italien en charge de la logistique, menacé de perdre un œil s’il n’était pas évacué sans délai sur l’Italie où l’attendaient les meilleurs soins aptes à le sauver. Nous devions partir début matinée pour lui permettre de prendre à Ndjaména le soir même le courrier d’Air France vers Roissy, avec correspondance vers Rome.

Sur le départ (Goz Amir)

Par téléphone satellite j’avais joint la station météo sur la capitale: rassurant, l’ingénieur m’avait signalé une forte concentration orageuse au sud de la ville se déplaçant vers l’est, sans risque de perturber le trafic aérien. C’est donc serein que je décollai 45 minutes plus tard en montée vers un niveau de vol me faisant bénéficier d’un vent portant à approximativement 3000 mètres. Peu après décollage, grâce à un relais radio situé à proximité de Goz Beïda, je contactai en VHF le contrôle de Ndjaména, précisant le niveau de vol, l’autonomie, l’heure prévue d’arrivée, l’absence de liaison à grande distance en HF et la mission d’évacuation sanitaire. Peu après je perdis comme prévu tout contact radio. Il me fallait attendre deux bonnes heures avant de commencer à entendre les contrôleurs et quelques minutes de plus pour que ceux-ci puissent me recevoir.

Le ciel était clair et mon passager tout à fait détendu quand je passai Mongo, à mi-parcours. Pour lui tout était "sur les rails" et il pouvait penser que son œil allait être sauvé.

Puis je vis l’horizon s’assombrir et bien que hors de portée VHF du contrôle, je pus bientôt recevoir un Transal de l’Armée de l’Air française dialoguant avec Ndjaména. La teneur de ses messages me fit comprendre qu’il se passait quelque chose et j’entrai en liaison avec lui. J’appris bien vite que l’aérodrome de Ndjaména était doublement fermé en raison d’ un orage tropical et du décollage en attente de l’avion du Président!

Je demandais alors au Transal de faire le relais radio pour signaler ma position et demander des instructions. Je n’eus jamais la réponse car le commandant de bord avait décidé de se dérouter sur un autre aérodrome et il quitta la fréquence. Je me retrouvai seul avec peu de carburant, sans radio et une évacuation en urgence.

Je pris l’option "sûre" et fis demi-tour pour un déroutement sur Mongo. Belle météo, belle piste mais… pas d’essence ce qui signifiait que mon passager ne pourrait pas prendre l’avion du soir et être opéré le lendemain. Prenant le temps de la réflexion, je me rappelai alors m’être posé deux ans plus tôt sur une petite piste à trente minute de vol au nord de Ndjaména, facile à repérer car située au bord du fleuve Chari. Consultant mon GPS personnel, j’en trouvai les coordonnées et décidai alors de mettre le cap dessus avec la conviction que j’y arriverai avant l’éventuel passage de l’orage tropical. De là j’aurai assez de carburant pour rallier Ndjaména en temps utile pour mon passager.

Tempête au sol, tempête sous mon crâne, mais rien de tout cela ne transparaissait pour mon ami italien. C’est beau la confiance!

La météo ne s’améliorant pas, je dus commencer la descente pour rester en conditions de vol à vue. Bientôt je commençai à entendre le contrôle et plusieurs avions du trafic commercial en attente… Enfin je pus établir le contact avec un contrôleur et lui fis part de mes intentions. Las! le secteur dans lequel je descendais était réservé à l’avion présidentiel après son éventuel décollage. En conséquence il m’était interdit. Mais alors que faire? Il est des cas où il faut savoir ne pas bien comprendre ce que l’on vous dit et c’est ce que je fis.

Descendant pour rester en vue du sol tout en me rapprochant de mon petit terrain, je dus être détecté car brusquement la voix du contrôleur se fit sévère. Mais j’étais sur le point de sortir du secteur et confirmai la faiblesse de mon autonomie, le caractère d’urgence de l’évacuation sanitaire et donc de mon choix de déroutement, je n’en avais pas d’autre possible. Le ton du contrôleur se fit alors plus aimable avant que quelques minutes plus tard il m’annonce la fin de l’orage, le décollage de l’avion présidentiel et… ma qualité de numéro un à l’atterrissage à Ndjaména.

Le roi n’était pas mon cousin quand je me présentai pour la piste 09 pour une approche finale qui me fit survoler le Chari. Quatre Mirage de l’Armée de l’Air étaient au point de manœuvre avant alignement, attendant sagement que je me pose. Le reste du trafic commercial suivait!

Arrivé sur l’aire de stationnement je vis un avion bimoteur de plusieurs tonnes que le vent d’orage avait sorti de ses cales, sauvé du désastre par les sangles qui le tenaient souplement mais fermement au sol.

Mon ami italien fut opéré à Rome le lendemain et revint un mois plus tard à Goz Beida. En janvier suivant, il vint passer quelques jours dans mes montagnes en France, avec trois autres membres de l’ONG italienne. Il neigeait et nous en étions tous ravis.

Le Peyréga, le 28 août 2012