Le petit Maule qui n’en pouvait mais…. (2001)


En ces derniers jours de septembre 2001, je me présentai à Orly Fret, au siège d’Aviation Sans Frontières (ASF) avant de partir pour ma première mission à Goz Beïda dans l’est du Tchad, à peu de distance de la frontière du Darfour et donc du Soudan. J’avais été gâté, pour cette première: j’arriverais à la fin de la saison des pluies…

Le Président me reçut brièvement: il n’eut que quelques mots pour me dire que je trouverai là-bas un Maule en excellent état. Je passai ensuite au bureau des mécaniciens qui me confièrent quatre bougies neuves avec leurs rechanges pour permettre de remettre en vol l’avion dont le moteur comptait justement quatre cylindres…

Mon expérience aéronautique sur monoréacteur et monoplace était grande (et cela allait me servir par la suite). Par contre, mon expérience sur petits avions à hélice était réduite à celle d’un modeste pilote d’aéroclub au nombre réduit d’heures de vol, toujours ou presque effectuées par beau temps au cours des 40 années passées, que ce fût en Bretagne, dans le Midi, dans le Sud Ouest ou au Sénégal. Quant aux hélices à pas variable, je ne connaissais leur emploi que par la lecture du guide du pilote amateur!


Lorsque j’arrivai dans la nuit suivante à Ndjaména, je fus accueilli par une chape de chaleur, odorante car de l’Afrique sub-saharienne émane une odeur entêtante que le voyageur n’oublie pas, et… un prédécesseur fiévreux et bougon. Lui, je l'avais reçu à la maison quelques mois plus tôt. Il était titulaire de deux mille heures et plus sur avion léger et propriétaire de l’un d’eux. Aussi me sentais-je très amateur à côté de lui, avec mes 70 heures sur avion léger.

Le lendemain nous nous rendîmes à l’aérodrome, partie aéroclub. L’avion y partageait un hangar sale et en désordre avec le campement d’un famille tchadienne avec femmes, enfants et grands parents dont le chef était un vieillard et…. le gardien de notre précieux Maule. Ce dernier était sur vérins, capot moteur démonté et posé à même le sol. A l’ouvert du hangar, un superbe Cessna 208 gisait sur le dos, victime d’un orage alors qu’il n’était pas campé ; il y avait aussi la carcasse d’un avion léger dont j’appris qu’il servait de magasin à pièces détachées pour notre Maule. Parlerai-je des serpents venimeux qui y trouvaient leur place?


Mon prédécesseur, toujours aussi fiévreux et bougon, s’attaqua à la finition de la visite "50 heures" du Maule et je passai une partie de la journée à jouer l’aide-mécanicien pour le montage des bougies, le plein d’huile, la laborieuse remise en place du capot et tout le reste. Un autre personnage fit cependant son apparition: un ancien président d’ASF, créateur de la mission "Tchad-Goz Béïda" et pilote de l’aviation générale n’ayant aucune sympathie (je l’apprendrai plus tard) pour les pilotes de ligne et les militaires. Passant par là, il m’expliqua que l’avion était en mauvais état et que si je le voulais, je pouvais très bien repartir... par le prochain courrier. C’est dans ces conditions qu’en fin d’après midi nous partîmes pour effectuer un bref vol de contrôle. Je ne savais rien de l’avion mais mon bon camarade me mit en place gauche pour me mettre en confiance et me dit : "à toi les commandes pour ce vol", Bigre!

Le lendemain nous prenions la direction de Goz Béïda à 700 km à l’est, soit près de quatre heures de vol, toujours avec moi aux commandes. J’avais connu le Tchad en opérations en 78 heureusement. Cependant l’avion, la mission, le pas variable et tout ce que cela implique dans la conduite de l’avion, sans parler du climat et l’hostilité de l’ancien, cela faisait beaucoup de choses à assimiler. Les huit jours suivants furent consacrés à la découverte de la mission médicale italienne au profit de qui nous étions là, des huit pistes de brousse de mon nouveau domaine et à l’apprentissage de la maîtrise de l’avion.

La piste et le hangar à Goz Beida

La piste de Goz Beida

L'instabilité de la configuration d’atterrissage du Maule me posait bien des problèmes et me faisait connaître le doute sur mon aptitude à exécuter la mission. Je découvrais aussi un avion dont la mise à l’air libre du réservoir principal avait tendance à faire usage de vide-vite quand il était plein, dont le pot d’échappement était dessoudé et dont l’huile fuyait, elle aussi, en gouttant sur la partie chaude de l’échappement, sans omettre un problème récurent d’allumage! "Un avion sans problème"* comme me l’avait dit le président… Monomoteur idéal pour survoler les étendues désertes et inhospitalières, de préférence avec une malade en évacuation sanitaire!


Lorsque par un beau matin, nous décollâmes vers la capitale, j’étais en charge de la mission et de l’avion depuis la veille. Anna, chef de la mission italienne (COOPI), responsable pour tout le Tchad et résidant à Ndjaména, avait pris place à notre bord avec ses valises et celles très conséquentes de mon prédécesseur qui pesait à lui seul ses 90 kg ; aussi la course de décollage s’avéra nettement plus longue que d’habitude( la piste de terre et de cailloux faisait 600m de long) et c’est juste après que le compte-tours moteur tomba en panne. Ce fut donc ma première décision: celle de continuer avec un instrument de contrôle moteur en moins pour un long vol au-dessus de terres inhospitalières.

Mon compagnon d’infortune, qui m’avait fait quelques confidences sur la situation réelle de notre aéronef, ne put que me souhaiter bon courage tandis que je m’attelai au dépannage du compte-tours: c’est ainsi que je passai deux bonnes heures sur le dos, jambes en l’air, par 40° à l’ombre, la tête sous le tableau de bord pour finir par réussir à effectuer le remontage de la pièce de rechange. Mon prédécesseur était parti le soir même par le vol d’Air France. Je retrouvai un mécanicien bénévole d’ASF arrivé par le même avion: il disposait de deux jours pour remettre le Maule en état de voler et… n’y réussit pas. A son départ les paramètre-moteur ne répondaient plus aux minima requis pour le vol, l’essence continuait de couler par le trop plein, l’huile de goutter et le pot d’échappement de brinquebaler. Quand je l’eus raccompagné à l’avion qui le ramenait à Paris, je ressentis un profond sentiment de solitude.

Heureusement il me restait le soutien précieux d'Anna, épouse d’un médecin tchadien et francophone mais qui m’avoua sans ambages qu’elle ne remettrait plus les pieds dans le Maule. Logé de façon simple dans la banlieue à la "casa coopi", c’est ensuite que les vrais ennuis commencèrent avec dés le lendemain l’essai infructueux de lancer le moteur pour vérifier une nouvelle fois le fonctionnement des instruments.

Mon correspondant à Paris hésita à arrêter l’avion puis me conseilla d’aller trouver le chef mécano Roby (un ancien de l’Armée de l’Air) de la petite société aéronautique voisine, ce que je fis. Le contact s’établit immédiatement, il examina l’avion, fit un diagnostic et me prêta deux mécanos pour les faire travailler sous ma propre responsabilité. Solidarité aéronautique oblige! Trois journées de travail permirent finalement d’effectuer un vol de contrôle avec Hassan, le plus féru des deux mécaniciens. A mon grand soulagement ce fut un vol "RAS" comme "rien à signaler". Pourtant le pire était encore à venir!

Le lendemain, je procédais avec Anna au chargement de l’avion de tout ce qu’attendait la mission de GozBeïda: pas un emplacement qui n’ait de paquets de vivres, médicaments, vaccins en glacière, sacs de sel iodé, produits de lavage et d’entretien, bref: tout ce qui était introuvable là-bas dans l’est lointain. J’étais heureux en m’installant aux commandes sous le regard de mes trois nouveaux amis mécanos et d’Anna. Ma mission commençait vraiment.

La mise en route demanda plusieurs tentatives. Mais à l’essai de la magnéto droite, je perdis 250 tours au lieu des 150 maximum autorisés. Je coupai donc et demandai son avis à Roby qui me conseilla d’effectuer un "point fixe" pour décrasser les bougies, ce que je fis avant de couper à nouveau. Puis après quelques minutes, je remis en route, fis les essais magnéto, tout était de nouveau dans les normes.

La piste est longue à Ndjaména. Le décollage ne fut pas très confortable mais l’avion était très chargé et la température déjà élevée, me dis-je in petto pour me rassurer. Le Maule finit par décoller et monter… fort lentement et sans pouvoir accélérer. Arrivé à 300 pieds, je rentrai les 10 degrés de volets mais cela ne suffit pas à modifier drastiquement le comportement de l’avion. Bientôt je dus changer de fréquence, donner mes heures estimées de sortie de la TMA, d’arrivée à l’altitude de croisière, de passage à Mongo et d’arrivée à destination. Devant l’impatience du contrôleur, je finis par me lancer dans les calculs avec le GPS: j’étais toujours à 300 pieds et 78 nœuds, j’avais un massif de 2500 pieds à franchir et il me fallait plus de 7 heures de vol pour une autonomie maximum de 6 heures.

Renonçant à y voir une erreur de calcul, j'annonçai des soucis moteurs majeurs et priorité à l’atterrissage tout en faisant avec précaution demi-tour vers Ndjaména, à un peu plus de dix minutes de vol.

Arrivé en vent arrière, toujours à 300 pieds, je réduisis pour sortir les volets et perdis instantanément 50 pieds! Je remis immédiatement plein gaz en espérant qu’au cours du dernier virage au-dessus du fleuve Chari peuplé de charmants hippopotames, le moteur ne me lâcherait pas… Je finis par me poser lourdementsur la piste et rouler jusqu'à l’aire de stationnement où Roby et Hassan m’attendaient, soulagés de nous retrouver entiers, le pilote et le Maule. Une fois encore l’avion m’avait ramené sain et sauf et vice versa...

Pris de scrupules, je déchargeai l’avion pesant colis par colis pour découvrir une surcharge de 50kg. Je m’en ouvris à Pierre, mon correspondant, qui cette fois me répondit que là n’était pas le problème et que la place de l’avion était au hangar! Un mécano "solide" arriva deux jours après pour découvrir qu’un cylindre au moins était en déconfiture. Le cylindre fut changé, améliorant ainsi notablement les performances de l'avion pour quelque temps, ce que je pus constater deux semaines plus tard en convoyant notre nouveau médecin. Les trois autres cylindres valaient à peine mieux mais cela ce fut pour plus tard...

Entre temps un CESSNA et sonpilote vinrent d’Agades pour assurer la mission de Goz Béïda: c’est ainsi que je découvris le C182 et me fis un nouvel ami.



Ore, le 21 mai 2012


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* j'appris plus tard que l'avion avait connu quelques aléas qui avaient en partie modifié la géométrie de l'emplanture de l'aile sur le fuselage.


Nota: la tenue d’un journal de bord au jour le jour m’a permis de retranscrire sans erreur possible cette anecdote un rien technique.

Le dernier appontage du hibou (1976)

C’était au mois de mai 1976. Mon affectation à la Flottille 12F touchait à sa fin en même temps que mon commandement de cette belle unité. J’effectuais mon ultime embarquement sur le Clémenceau en Méditerranée orientale. J’étais considéré comme un hibou (ou "apponteur de nuit") très sûr et, de fait, je n’avais jamais donné de sueur froide à un officier d’appontage. J’aimais la nuit et j’aimais cette discipline particulière qu’est l’appontage: l’appontage de nuit constituait donc une source de satisfaction professionnelle, quand, à l’issue d’une mission complexe se déroulant entre 1000 et 45000 pieds à des vitesses comprises entre Mach 1.4 et 2OO nœuds, il fallait faire preuve de calme et de rigueur pour achever le vol par une prise de brins sur une plate forme plus ou moins mouvante.
Cette nuit-là était sombre. Pas de lune, pas de terre en vue, nous étions très au large de Malte et je devais bien m’avouer une certaine fatigue, celle-là justement qui me faisait dire aux pilotes: "quand vous êtes fatigués au point de penser à le dire, dites-le car la fatigue n’est pas compatible avec le vol de nuit". Me l’avouer, certes, mais enfin, j’étais le commandant, et puis un pilote sûr. Je pouvais donc surmonter cela…
Catapulté vers 23 heures avec mon équipier, tout se passait très bien. Au programme: une mission d’interceptions mutuelles. Dans ce genre de vol, on alterne les rôles de chasseur et de "target". Ce dernier a toute liberté pour corser le travail du chasseur: éteindre tous ses feux de navigation, choisir son profil de vol à grande ou faible vitesse, son altitude et/ou son taux de descente selon qu’il simule un avion d’attaque, un missile ou un avion de patrouille maritime… J’avais le sujet bien en main.


Mission d'interception au crépuscule
(photo: Chournioz)

Fin de l'exercice. Percée depuis 20000 pieds, approche finale à partir de 1500 pieds tout sorti, aux ordres du contrôleur. J’étais depuis mes débuts un utilisateur habituel de l’"Approach power compensator" ou APC* dont j’avais fini par convaincre que son emploi était la clé de l’appontage de nuit. "Si le pilote est fatigué, la machine, elle, ne l’est jamais… et un pilote en retour de mission de nuit, est toujours fatigué ". Raisonnement imparable.
"Vous passez 300 pieds, regardez miroir" me dit le contrôleur. Oui, je voyais le "meat ball"** bien entre les deux barrettes vertes. Je répondis donc "miroir, auto 28*** Antoine".
La voix de Ramon, l’Officier d’Appontage (OA), me répondit: "Antoine, pont vert"***. Les O.A. ne disposaient à l’époque ni d’infra rouge, ni d’intensificateurs de lumière. Et par nuit noire, ils ne pouvaient déceler si un avion était trop haut ou trop bas que tardivement, faute d’horizon perceptible. Or la clé de la réussite de l’appontage se résume à tenir tout à la fois l’avion aligné sur l’axe de posé et le meat ball entre les deux barrettes vertes, ce qui est simple à dire mais plus difficile à réaliser dans l’air perturbé par la masse du porte-avions!


Les barrettes vertes et le meat ball
(source photo: ici, avec plein d'explications en prime)

Attentif, je vois tout à coup "monter" le meat ball, mouvement que je contre par une action sur le manche, mais pas assez car je le perds par le haut… En toute rigueur j’aurais dû annoncer "miroir perdu". "Mais" me dis-je, "je suis loin, la nuit est noire, les OA ne voient guère, je vais revenir en douceur, jusqu’à reprendre la vue du meat ball". Quelques secondes passèrent ainsi sans que je retrouve le meat ball perdu. C’est alors que j’entendis la voix paisible de Ramon me dire: "Pas plus bas".
Et moi qui me croyais trop haut, il me disait pas plus bas!! Or quand on est trop bas le "meat ball" de blanc devient rouge. Et je ne voyais pas de rouge ! C’est donc que j’étais encore plus bas, en route pour rentrer directement dans le hangar ou presque…
Je repris le contrôle de la manette des gaz, mis pleine puissance et annonçai: "remise des gaz". Le Crouze est lourd cependant: avant que la descente ne cesse, il se passa encore un laps de temps. Il fut suffisant pour que l’avion touche le pont d’envol en pleine accélération, en écrasant la roulette de nez tandis que l’arrière de l’avion se soulevant, la crosse ne pouvait crocher les brins.


Appontage par nuit lunaire
(photo: Chournioz)
Je repartis donc dans la nuit et me fis mentalement le "débriefing": indiscipline (car je n’annonce pas miroir perdu), excès de confiance (je vais retrouver la vue du meatball tout seul), fatigue (car j’ai forcément croisé la bonne pente sans la percevoir). Ce qui m’avait sauvé, c’était l’indication de l’OA ("pas plus bas!") et la capacité à en trouver toute la signification dans un raisonnement instantané. Cinq minutes plus tard, je posai l’avion aligné, à la bonne vitesse, sur la bonne pente. Je ne le savais pas mais c’était mon ultime appontage de nuit…
Après explication de la manœuvre avec les OA – une équipe de trois redoutables pilotes – je leur demandai de faire moi-même un "débriefing" de l’accident évité à tous les pilotes, en leur présence. C’était inhabituel pour un pacha mais ça leur plut. C’est ainsi que tous comprirent que si sûr que l’on puisse être, il faut garder présent à l’esprit que l’on est faillible. J’avais battu le record de l’appontage le plus court, concrétisé par la marque faite par la crosse dans l’arrondi du pont et détenu par un autre pilote de Cruze. D’autres avaient fait ou feraient plus court mais ils y avaient laissé ou y laisseraient la moitié de leur avion sur l’arrondi…
Pilote de monoplace, certes, mais travail d’équipe.
Goz Beïda, le 7 juillet 2002
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*APC ou "régulateur de puissance en approche": système qui permet de maintenir automatiquement la vitesse voulue et affichée par le pilote. Son utilisation modifie le pilotage et la technique de tenue de la pente c’est pourquoi les OA doivent en être avertis.
**Meat ball: mot anglais pour la lentille blanche de l’optique d’appontage donnant au pilote l’indication de son placement par rapport à la pente idéale. Cette pente est obtenue quand le meat ball est entre les deux barrettes vertes.
***Auto: Je suis en automatique, 28 : il me reste 2800 livres de carburant.
****Pont vert : Les brins sont parés, le pont est dégagé.

Zone interdite et fraises de Plougastel (1971)

Tout a commencé un samedi soir pluvieux du mois de février 1971 . Le porte-avions était à quai à Brest et le carré des officiers avait organisé une soirée à laquelle les officiers des Flottilles embarquées étaient invités. Une sympathique occasion pour les maris et les épouses de se rencontrer, brestois, landivisiens et lorientais, "surfaciers", pilotes d’hélicoptères, d’Alizé, d’Etendard et de Crusader se retrouvant l’espace d’un moment convivial dans le cadre d’acier de notre base aéronavale mobile et flottante.

Il devait être aux environs de 22 heures, juste après que l’Amiral eut fait une brève apparition, quand le bruit commença de courir: il y avait une opération en train de se déclencher… et les unités concernées étaient, comme c’était la norme, à 24 heurs d’appareillage. Toutefois la sagesse veut que l’on ne prête pas attention aux bruits qui courent, il en court tant! Et la soirée se continua dans la bonne humeur générale.

Ce fut le lendemain dans la journée d’un dimanche de tempête de suroit que le message tomba! Pour les officiers de garde de la base aéronavale, il fallut prévenir et faire rallier tous ceux qui étaient concernés par la préparation des avions et du matériel et dans la soirée ce fut quelques centaines de mécaniciens et quelques tonnes de matériel qui prirent la route de l’arsenal pour un appareillage ordonné en début de matinée le lundi.

J’étais à l’époque officier–opération de la Flottille 14F. Les 12 avions de la formation étaient donc parés, plein de carburant effectué et les pilotes répartis en trois patrouilles de quatre, avec le commandant, le second et moi même comme "leader" de chacune d’elles. Les ordres de décollage émanaient du porte avions. Seulement voilà, la tempête de suroit ne faiblissait pas et la mer au large de Brest était grosse et même très grosse. L’Etendard IVM était réputé pouvoir apponter par des conditions difficiles considérées comme rédhibitoires pour le Cruse, plus lourd, moins vif, au train d’atterrissage plus étroit. C’est ainsi que la journée passa pour les pilotes de la 14F, en combinaison étanche, à regarder décoller les patrouilles d’Etendard… et à les voir se reposer, aucun d’eux ne réussissant à apponter! La fin de l’après midi et la nuit s’annonçaient sans que rien ne laisse prévoir… la suite! A savoir l’ordre de décollage pour les NEGUS VERT, ma patrouille, pour rallier dans les plus brefs délais le porte-avions. Oui, mais où? Et pour quelle sorte de mission avant appontage ?

Pour pouvoir bien manœuvrer, ce type de bâtiment a besoin de filer au moins huit nœuds en surface. Pour apponter, les avions ont besoin d’avoir entre 25 et au maximum 40 nœuds de vent sur le pont dans l’axe de la piste oblique, sachant qu’un nœud égale 1,85 km/heure . Un marin de génie découvrit à bord que vers 16 heures en baie de Brest il y aurait un courant de 6 nœuds dans le même sens que le vent alors de 30 à 35 nœuds de secteur ouest. Donc si le porte avions se plaçait au fond de la baie à la vitesse de 8 nœuds en surface, il se déplaçait à seulement 2 nœuds sur le fond, ce qui lui donnait un créneau d’une heure environ pour ramasser au moins une partie du groupe aérien. Et les Cruse en alerte depuis le matin étaient fins prêts.


Crusader à l'appontage


C’est ainsi que je décollai avec ma patrouille en deux sections de deux avions, avec rassemblement sous la couche fort basse (600 pieds à peine). Sitôt ceci fait, mise de cap sur la baie de Brest située à cinq minutes de vol, en pleine zone habituellement interdite aux aéronefs pour cause de base de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins.

Les conditions étaient rien moins que confortables pour se présenter à quatre avions en formation serrée, formation que je choisis en diamant pour donner plus de souplesse dans la manœuvre. Dans l’axe de la présentation se trouvait une grande antenne dont le sommet disparaissait dans la couche de nuages toujours aussi bas, et qu’après séparation pour appontage les n° 3 et 4 de la patrouille furent obligés de contourner. Du jamais vu !

Formation "en diamant"

Et comme pour apponter, il y a un poids maximum à respecter, il nous fallut vidanger quelques milliers de litres de kérosène chacun dans le circuit d’appontage. Celui-ci nous contraignit à survoler la base des SNLE et les champs de fraisiers de Plougastel heureusement pas encore en fleurs. Une expérience rare dans de telles conditions, dictées par les seuls impératifs opérationnels, la priorité étant de ramasser le groupe aérien avant de filer vers le sud pour d’éventuelles opérations.

Comme tout cela coïncidait avec la sortie de l’arsenal, l’on nous rapporta plus tard qu’il y avait un grand nombre de personnes pour assister au spectacle depuis la ville toute proche. En une heure, tous les Crouze et les Alizés étaient posés juste avant la nuit. Les Etendard quant à eux rallièrent le lendemain dans des eaux calmées du golfe de Gascogne.

Le petit Maule et la haie de grands arbres (2002)

C'était le 5 juillet 2002 à Goz Beïda (Tchad).
Depuis la veille, je savais que je devrai décoller de bonne heure pour Saraf Borlo chercher une jeune femme souffrante. A Saraf, un seul pilote s’y est posé. Je sais par lui que la piste est courte, difficilement identifiable mais que sa position GPS est précisément connue. Le Maule, pourtant connu pour sa rusticité et sa fiabilité dans toutes les conditions d'usage, me donnait des soucis (en France l’avion aurait été arrêté de vol depuis longtemps). J'ai donc demandé que l’infirmier accompagnateur soit un poids plume. Ce sera Armand.

Au cours du vol précédent, entre N’Djaména et GozBeïda, j’avais dû chercher à 3 reprises où poser l’avion en campagne : le moteur crachouillait et donnait des signes de faiblesse, avant de repartir! Trois autres décollages sur pistes relativement longues (600m) s’étaient effectués en extrémité de course, aux limites de sustentation…

En route donc, et en ce presque frais matin, le décollage fut pour une fois normal ce qui me mit en confiance. Armand était curieux de tout et je lui expliquais la carte, le paysage, montagnes et pistes, cours d’eau grossis par les pluies, vitesse, cap, altitude. Un excellent passager en somme.


Des fleuves d'eau et de sable

Arrivé à la verticale de la piste si j’en croyais le GPS, je ne vis rien, que des arbres et des maisons, des huttes éparpillées dans le paysage. Je fis un virage complet et ne distinguai toujours pas ce qui pouvait ressembler à une piste de 10 m de large dont je savais pourtant qu’à l’extrémité sud se trouvaient quelques pierres peintes en jaune (pour ce qui est de la manche à air, je la savais… inexistante). Je m’éloignai donc et revins axé au sud, surveillant la distance au GPS ; des arbres, des maisons, une vague bande de terre, pas très droite… Est-cela ? Je continue, stable au cap, volant à 100 ou 200 pieds. Une ligne d’arbres se présente et juste avant… trois pierres peintes en jaune! Deux minutes plus tard je posai l'avion face au nord.

La piste d'atterrissage de Saraf
Bonjour tout le monde! Oui, forcément, l’avion est l’attraction et tous les villageois sont présents quand nous faisons embarquer la patiente, une femme de 18-20 ans à ce que l’on nous dit ; je lui en donne 12, j’apprendrai plus tard qu’elle en a 15 en réalité. Son accompagnant est un vieillard: son grand-père? Non, son mari…


Le comité d'accueil au village!


Nous remontons la piste, je me cale juste avant les pierres, mets plein gaz sur freins - tout juste 26 à la pression d’admission au lieu de 28 ou 29 - fixe le bout de la piste à 400 mètres de là et un peu plus loin une ligne de hauts arbres. Le vent est de travers, ce qui n’est pas fait pour aider. L’indicateur de vitesse a des battements de + ou - 7 nœuds… Difficile de savoir si l’avion est à la vitesse de décollage quand, sur une bosse, il décolle sans mon accord! Je le recolle au sol… Le bout de la piste est bientôt là, je soulage le nez en douceur, il vole et il grimpe mais pas très vite, c'est à dire: pas assez vite à mon goût. Cette fois la haie d’arbres se rapproche: passera? Passera pas? Je la perds à la vue sous le nez de l’avion... Quelques secondes de suspense intense… C’est passé! L’infirmier, confiant, ne s’est rendu compte de rien. J’ai la bouche un peu sèche et continue la procédure de montée tout en reprenant mes explications aéronautiques pour mon passager à la soif d’apprendre et de comprendre…
Ce fut mon dernier vol sur le "petit Maule".
Le 13 juillet au soir Jean-Marie m’annonça son arrivée avec Zoltan pour le 14 après midi, avec un Cessna 182 et une bouteille de Champagne. Le petit Maule repartit le lendemain, non sans difficultés, pour N’Djaména aux mains de deux pilotes chevronnés. Il y fut remis aux normes avant d’entamer un long périple trans-saharien vers la France pour y être vendu…
Goz Beïda, le 18juillet 2002.