Sept vies dans un avion de quatre places au-dessus du désert du Ténéré (Août 2007)

Cette anecdote se déroule au Niger, au cours de l'une de mes missions au profit d'Aviation Sans Frontières.

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Il était 14 heures ce 28 juillet 2007 quand le téléphone sonna. Une voix difficilement compréhensible répondit à mon "Pilote aviation sans frontières, je vous écoute". Je finis par saisir qu’à plus de trois heures de vol de Zinder, à l’autre bout du désert du Ténéré, une femme en mal d’accoucher devait être évacuée. C’était le maire de la bourgade – Bilma, une oasis au pied d’un plateau rocheux – qui m’appelait.

La région de Zinder
(cliquez sur l'image pour agrandir)

Le terrain le plus proche se situait à Dirkou, à 40 km au nord-oust de Bilma – j’avais une carte sous les yeux – et je lui demandai si cette femme était transportable par voiture. Je lui précisai aussi que pour que l’évacuation puisse se faire, j’avais besoin de l’avis d’un médecin. De plus l’heure était trop tardive et il me faudrait attendre le lendemain matin pour venir. Une heure plus tard je recevais l’appel du médecin-capitaine de Dirkou me confirmant la demande pour une évacuation sur Agadès où se trouvait un hôpital. Je lui annonçai donc mon arrivée pour onze heures le lendemain, puisque je ne pouvais pas décoller avant 7 heures de Zinder, pour des raisons d’horaire d’ouverture de l’aérodrome et de lever du soleil aussi.

Dirkou se situe à 40km de Bilma
(nord-est du Niger)
(source photo: ici)

Je partis préparer l’avion, c’est-à-dire en compléter les pleins et remplir d’essence cinq bidons de 20 litres qui me permettraient d’effectuer le vol jusqu’à Agades en préservant la petite réserve de 100 litres en place à Dirkou. Il était 7 heures tapantes quand je décollai de Zinder le lendemain matin. Pour bénéficier d’un vent portant jusqu’à la moitié du parcours, je choisis l’option d’un vol à basse altitude. Vingt minutes après le décollage je perdais le contact VHF avec la tour de Zinder et pris le contact en HF et longue portée avec Niamey. Sous les ailes, après une heure de vol, il n’y avait plus trace de verdure. Sable et cailloux et bientôt les dunes, c’étaient là les éléments qui composaient le paysage. Par moments je volais dans un air saturé de sable, l’horizon disparaissait et j’avais du mal à distinguer le sol. Je passais alors au vol aux instruments, c’est-à-dire sans plus regarder dehors ; j’avais confiance en ce petit horizon artificiel particulièrement fiable qui m’avait déjà bien souvent aidé à me tirer d’affaire alors que je n’étais censé voler que par beau temps…

Après une heure de vol je perdis tout contact radio. L’impression de solitude, totale, ne m’était pas désagréable. Bien que me demandant qui et au bout de combien de temps serait à même de venir me chercher en cas d’atterrissage forcé, je n’avais aucun sentiment d’angoisse. Seul au dessus du désert de sable et dans un ciel vide, le cap sur un terrain inconnu au milieu des contrées les plus désertiques au monde, aux commandes d’un petit monomoteur pour aller chercher une femme tout aussi inconnue dont la survie tenait à si peu... j’étais serein. Je me sentais tout à la fois hors du monde et pourtant dans le monde car agissant de façon désintéressée en ayant pour motivation la solidarité avec les plus démunis. Cela me convenait tout à fait.

Une gorgée d’eau, un peu de sucre et une bouchée de pain de temps à autre pour rester vigilant ; le corps est une usine chimique et le cerveau son micro-ordinateur de commande: le pilote de monoplace n’a pas droit au "bug" et c’est pour cela qu’il doit être attentif à la déshydratation et à la chute du taux de glycémie. Élémentaire, n’est-il pas? L’attention toujours en éveil: cap, horizon, altitude, horizon, vitesse, horizon…

Quand le sable s'envole, il reste le vol aux instruments...

Et puis un coup d’œil à la carte pour chercher le prochain point remarquable au milieu de nulle part que l’on peut espérer découvrir si la visibilité s’améliore. Pour cette fois, ce sera une série de quatre pitons qui devraient apparaître au bout de trois heures de vol sur la gauche, alignés selon une oblique. Dans cette attente, un coup d’œil à l’extérieur me permit d’apercevoir le sommet d’un palmier dépassant d’une dune, tout ce qu’il restait sans doute d’un bouquet d’arbres autour d’un puits recouvert par le sable toujours en mouvement.

Ce jour-là, la chance était de mon côté: dans le coin gauche du pare-brise, apparaît en effet le premier piton – souvenir lointain d’une ancienne activité volcanique – bientôt suivi par trois autres, parfaitement alignés. Dans trois quarts d’heure je devrais être à même de découvrir la piste et plus loin derrière, les falaises qui dominent Dirkou.

Les 4 "pitons" espérés

La visibilité n’était pas excellente, loin s’en fallait ; l’heure tournait, le soleil montait, le désert chauffait et le sable avait tendance à s’envoler. Mais trois ou quatre kilomètres de visi, c’est plus que suffisant et c’est sans soucis que je suivais les indications du GPS, il suffisait de savoir attendre: un coup d’œil à l’instrument, un autre dehors dans l’axe, loin devant et bientôt la bonne nouvelle arrive ; la piste est là, axée par coïncidence sur la route suivie. Elle est longue, et je peux sans me poser de question atterrir directement avec du vent arrière ; c’est toujours un peu du précieux carburant économisé.

La piste!

La piste était au milieu du sable mais je n’avais pas aperçu de bourgade non plus que les falaises qui la dominent ni la vaste oasis dont on m’avait parlé. C’est au cours d’une autre mission qu’il me serait donné de les découvrir avec le secret révélé de la présence d’une nappe d’eau fossile – il ne pleut jamais à Dirkou - sous quelques mètres de sable.

Dirkou vu du ciel

Dirkou

Deux militaires armés de Kalashnikov m’accueillirent aimablement à l’aire de stationnement. Sans plus attendre je déchargeai les bidons de carburant que les soldats me firent passer tandis qu’assis sur l’aile je procédais au complément du plein. Bientôt deux véhicules soulevant un nuage de poussière approchèrent d’où débarquèrent l’adjoint au maire, deux conseillers et des parents de la jeune femme à évacuer, suivis d’une troisième avec le médecin, la femme en question, allongée à l’arrière, et une autre très jeune mère avec un bébé dans les bras.

Deux militaires gardent l'avion

Le plein achevé, l’adjoint au maire me remit la somme de 80 000 CFA, montant de la participation symbolique des habitants, qu’il convient de comparer aux huit heures de vols dépensée par ASF et financées par le conseil général de la Loire atlantique et quelques industriels de l’ouest de la France.

Les accompagnants

Le médecin me prit à part pour m’expliquer que faute d’instruments adéquats en état de marche il ne pouvait dire si la parturiente attendait des triplés, des jumeaux ou faisait une grossesse nerveuse avec rétention d’eau! Puis il me demanda s’il était possible de prendre en plus la jeune mère d’un bébé de neuf mois ayant absorbé du gazole. Ce dernier endurait des difficultés respiratoires auxquelles le médecin ne pouvait plus rien, la réserve d’oxygène de l’hôpital étant épuisée.

Une mère et son enfant.

Je répondis par l’affirmative : l’on installa la parturiente et sa mère à l’arrière, la jeune mère devant en place droite avec son enfant dans les bras et les bagages dans la « coffre ». Attentif à la santé du cocher, le médecin m’avait apporté des biscuits, du chocolat et une boisson tonique fraîche, un trésor sans le moindre doute pour lui qu’il me donnait généreusement. Il était midi, le soleil était à la verticale, le Ténéré ressemblait à un immense plat chaud recouvert de sable. Le vent et la température – 40 degrés – militaient en faveur d’un vol en altitude, l’état de la future mère aussi, en parfaite contradiction avec l’état du bébé qui nécessitait un air aussi riche en oxygène que possible.

La future mère était si enflée que je ne pus boucler la ceinture de sécurité, trop courte de 20 bons centimètres… C’est donc dans cet équipage que j’allai m’aligner face au vent et dos à la ville, par plus de 40 degrés pour un vol de près de trois heures à basse altitude dans un air surchauffé et terriblement turbulent. Comme me l’avait dit le médecin, "c’était ça ou deux jours d’une piste incertaine" car avec les grosses pluies tombées sur l’Aïr (voir la future anecdote "vendredi 13"), celle-ci étaient coupée en plusieurs endroits avant d’arriver à Agadès au lieu où elle contourne le massif par le sud.

Au bout d’une heure de vol au dessus du désert, la jeune femme commença à gémir à chaque forte turbulence, c’est à dire très souvent! Je tenais fermement l’appareil, pieds et mains comme on dit, à la fois ferme et souple aux commandes pour amortir les secousses autant que faire se pouvait. Je n’avais qu’une crainte, que la mère se mît à accoucher … Quant au bébé, il dormait dans les bras de sa mère, de ce côté tout allait bien.

Bientôt se profila la silhouette et les premiers contreforts du massif de l’Aïr sur l’avant droit du pare-brise en même temps que s’établissait le contact radio avec la tour d’Agadès. Rien que de bonnes nouvelles, les conditions sur le terrains étaient bonnes. Des véhicules militaires et des soldats armés en grand nombre occupaient les installations; les choses avaient bien changé depuis mon dernier passage; sur l’aire de stationnement, une ambulance militaire attendait ; cinq minutes après l’arrêt du moteur, elle emportait vers l’hôpital les trois femmes et le bébé…. Et (je l’appris plus tard) les jumeaux qui avaient eu le bon goût d’attendre d’être en lieu sûr pour débarquer dans ce monde hostile mais parfois solidaire.

Je profitai de me trouver sur un terrain avec quelques réserves d’essence pour faire le plein de l’avion et des "jerrycans" en plastic. A Zinder comme dans les auberges espagnoles, on ne consomme que l’essence que l’on a apportée. Le commandant de l’aérodrome vint me saluer, toujours aimable, simple, souriant et prêt à apporter son aide. On commençait à bien se connaître.

Après deux heures d’un vol tranquille, je me posais à Zinder et rendis compte à ASF ORLY de cette double évacuation. La réponse de mon cher Président ne se fit pas attendre: le prix pour cette évacuation était trop élevé ! Je lui répondis que le coût devait être divisé par deux bien sûr – le bébé et la parturiente – puis quelques jours après, en apprenant que bébé, mère et jumeaux avaient tous pu être tirés d’affaire grâce à ce vol, je précisais que c’était en définitive par quatre qu’il fallait diviser le prix à payer pour l’opération, soit deux heures de vol pour une vie.


Finistère, le 12 octobre 2008

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