"Bleu leader de Bleu 2, le Sacré Cœur à midi, niveau" (juillet 1974)

La Flottille 12 F est prévue pour participer au défilé aérien du 14 juillet au-dessus des Champs Élysées. Comme pour toutes les unités participantes, il y avait quelques jours avant un vol de répétition pour le "leader" de chaque groupe d'avions et leur "deputy leader", en l’occurrence pour l’ami S, commandant la 12 F, et votre serviteur, officier en second.

En cet après-midi brumeux, nous avions décollé de la base aéronavale de Landivisiau, dans le Finistère nord pour un transit en altitude avant d'atteindre notre premier point de report qui était la base aérienne d'Evreux. Des Mirage décollaient, qui de Cambrais, qui de Creil, qui de Reims, et tout cela devait s’intégrer pour former une longue ligne droite par groupes entre lesquels l'espace se mesurait en secondes. Bien sûr cette intégration par des avions venus de directions différentes se faisait au chronomètre dans un premier temps puis à vue en finale. La route suivie était sensée nous conduire vers l’Arc de Triomphe et la place de la Concorde.

(Source photo: Flottille 16 F)

En ce temps-là, le GPS n’était pas inventé. Sur Crusader, le pilote ne disposait pour naviguer que du cap, de la montre, de la vitesse et de sa sagacité à lire la carte pour contrôler la navigation et éventuellement la corriger. Pilote chevronné, S. disposait de tous ces éléments. Ce n’était malheureusement pas le cas d’un pilote de Mirage angoissé (nous l’appellerons Tartanpion) qui noyait la fréquence commune de ses messages, sans autre intérêt pour les autres que de comprendre qu'il ne maîtrisait pas la situation...


Ce jour là, en région parisienne la visibilité était médiocre et tout le monde très tendu. J’étais en formation serrée à gauche sur le leader. Nous étions déjà axés sur la longue ligne droite et nous attendions d'un instant à l'autre de voir arriver sur notre avant gauche le groupe Mirage qui devait se placer devant nous. Je voyais S tourner la tête sur sa gauche tandis que "Tartanpion leader" "envoyait son nième message disant qu’il avait 15 secondes de retard... Je commençais moi aussi à me sentir nerveux. Je ne pouvais pas regarder sur ma gauche et je résistais tant bien que mal à l’envie de quitter la formation serrée. Au moment où je m’apprêtais à le faire, l’esprit de discipline finit par l'emporter et je restai à poste. Bien m’en prit! Car à cet instant précis, deux Mirages nous croisaient à nous frôler, et, j’en ai la conviction, sans nous voir…

Tout cela avait fini par gêner S, ce qui fait qu’en arrivant à proximité du quartier de la Défense nous étions décalés à droite de la route. Quand, dans la brume, nous distinguâmes l’Arc de Triomphe il nous fallut venir à gauche: au lieu d'arriver en survolant l’avenue de La Grande Armée nous passions par l’avenue Foch… Je connaissais bien Paris, ce qui n’était pas le cas de S. J’espérais, je pensais qu’en survolant l’Arc, il prendrait sur la droite pour embouquer les Champs Élysées. A 500 pieds et 360 nœuds soit à une hauteur de 150 mètres et une vitesse de 180 mètres/seconde, cela va vite… très vite. Voyant que nous continuions tout droit, je l’appelai alors: "Bleu leader de Bleu 2, Sacré Cœur à midi, niveau". C’est à dire que si nous maintenions quelques secondes de plus notre cap, nous allions bientôt entrer dans la basilique… à cheval.


(source: ici)

Bleu leader comprit et obliqua sur la droite. Nous dévalions grand train les Grands Boulevards ; arrivés à République nous primes l'avenue qui conduisait à Nation, puis par la gauche à Vincennes, son bois, son zoo…

Un peu moins d'une heure plus tard, nous étions à Landivisiau avec dans les yeux plein d’images de Paris.

Comme tout le monde avait eu des soucis, il y eut une deuxième répétition, par un après-midi où l’air était limpide. De la Défense à Vincennes, la ligne était droite cette fois et c’est sans stress que nous avons regardé défiler à nos pieds les toits de Paris ; je dois dire que c’était moins drôle... Le 13 juillet, la Flottille au grand complet avait pris place à la base aérienne d' Evreux ; le 14, le brouillard épais qui régnait sur Paris fit annuler le défilé aérien.

Dans ma tête reste le souvenir de cette annonce incongrue pour un pilote habitué aux grands espaces aéromaritimes: "Leader de deux, Sacré Cœur à midi, niveau", et de Paris au ras des toits...

Goz Beïda, le 30 juin 2002

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