L’armada étoilée et les plumes du canard (1967)

C’était au temps où le Général de Gaulle présidait aux destinées de la France. En ce mois de février 1967, se déroulait un grand exercice franco-américain. Dans le rôle de l’attaquant: la 6éme Flotte américaine en Méditerranée avec son armada d’avions de combat "Phantom", "Skyhawk" et autres...

Les "attaquants"...
(sources photos: ici, , )

Dans celui du défenseur: la défense aérienne avec les Mirage III C et Super Mystère B2 de l’Armée de l’Air que les 12 Crusader de la Flottille 12F (la mienne) renforçaient.

Et les "défenseurs"!
(sources photos: ici, et )

Stationnés à Nîmes - base de patrouille maritime - nous étions logés sous la tente, dormant à côté de nos destriers et divisés en deux bordées. J’étais de celle qui prenait la nuit, nuit que chacun s’accordait pour dire être celle d’une "veillée d’armes." Pilote "en alerte à 5 minutes" jusqu’à minuit, j’avais bénéficié ensuite de deux heures de repos - tout habillé - sur un lit pliant avant de prendre les fonctions de directeur des vols. C’est à 6 heures que la deuxième bordée devait nous relever.

Nuit d’hiver, froide, ciel couvert; à 5h30 j’avais bu un bon bol de café aussi noir que chaud. Bien m’en avait pris après cette longue nuit. A 6 heures tapantes, le Commandant de la 12F, Capitaine de Corvette HLP, en tenue vol mais encore mal réveillé, arriva pour relever le pilote d’alerte à 5 minutes. Quant à moi, je restais un peu plus longtemps directeur des vols, faute de voir arriver ma relève, le Lieutenant de Vaisseau H de G.

C’est à ce moment que la sonnerie de l’alerte retentit. "Décollage immédiat pour le premier avion. Le pilote en alerte à 15 minutes passera à 5". Ce dernier, Maître Principal D n’était pas encore arrivé lui non plus…. Je voyais bien que le "Pacha"* n’était pas à l’aise. Le pilote qu'il venait de relever était un jeune officier marinier et décemment, le Pacha ne pouvait pas lui dire qu’il n’était pas en forme. Se tournant vers moi, il me demanda comment je me sentais. Je lui répondis donc: "en pleine forme, d’autant que je viens de boire un café chaud…" La "porte" était ouverte, il s’y glissa en me demandant si je me sentais assez bien pour partir en vol. Comme j'avais la réputation d’aimer la nuit, il n’avait pas trop de scrupules à avoir. Cinq minutes après, aligné en bout de piste, je mettais plein gaz et, "cassant la manette", enclenchai la post-combustion. Après une nuit blanche, il y a une petite satisfaction à réveiller une base de « PatMar » et la moitié de la ville de Nîmes…A près décollage je passai rapidement sous le contrôle du Radar de Défense aérienne et montai en moins de deux minutes au travers de l’épaisse couche de nuages.

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Interrompu par le médecin-chef italien du district de Sila**: départ pour Daguessa: un accouchement difficile. A l’arrivée, l’enfant mort-né (cordon) rend l’évacuation inutile. L’infirmier, après un examen approfondi et des soins, décide de laisser la mère sur place. Je reprends ma rédaction, 6 mois plus tard, toujours à Goz Beida…

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Entre 20 et 30000 pieds des bancs de nuages laissent de grands espaces libres dans lesquels le jour commence à poindre. Sur la fréquence, j’entends les Mirage de l’Armée de l’Air qui eux aussi orbitent au régime économique. Bientôt, on m’annonce l’arrivée d’un deuxième Crusader qui me rallie. A la voix je reconnais le Maître Principal D. Sympa.

Et puis, et puis… au Sud, des traînées apparaissent tandis que sur la fréquence, le contrôleurs commencent à s’agiter et nous guident sus à "l’ennemi": c’est qu’en effet l’armada américaine approche en bon ordre. 10, 20, 50 et plus, des avions rangés en ordre d’attaque, avions d’assaut au centre, Phamtom de protection au-dessus, au-dessous, derrière et devant. Et nous, et nous… juste deux Crusader et trois Mirage qui nous lançons sur la meute, remplissant nos viseurs et nos caméras d’avions à étoiles blanches crucifiés, tout en faisant attention à ces zigotos de l’Armée de l’Air ("les zizis") qui pourraient confondre un Crusader (de fabrication américaine certes) à cocarde Marine (bleu blanc rouge et une ancre) avec un Phantom ou un Skyhawk étoilé. C’est aussi cela, la guerre des boutons…

Dans ce monde nuageux, au jour naissant, ce sont là des images qui me sont restées gravées. Puis après quelques minutes, tout s’est calmé. L’armada a continué sa progression vers ses "objectifs" tandis que d’autres chasseurs de la Défense Aérienne l’interceptaient à leur tour. D. m’a rallié en formation serrée et m’a demandé de le ramener au terrain. Ce que je fis traversant dans l’autre sens la couche de 20000 pieds de nuages encore bien sombres.

Au "débriefing" nous avons fait des envieux. C’était bien sûr le vol qu’il ne fallait pas rater. Le Pacha était content pour moi; quant à D;, il m’a avoué être mal réveillé et avoir apprécié ma "souplesse de pilotage" pour le ramener. Bien sûr, le compliment m’est passé dessus comme l’eau sur les plumes d’un canard de la 12F. Mais comme chacun sait, les canards adorent ça…

Insigne de la 12 F
(source photo: ici)

Goz Beïda, 19 et 20 juin 2002.


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* "Le Pacha" : surnom donné au commandant dans la Marine, ici en l'occurrence le capitaine de corvette HLP, commandant de la 12F.

** La plupart de ces anecdotes ont été rédigées à Goz Beida (Tchad), lors des périodes de calme entre deux missions d'évacuation avec Aviation sans Frontières.


2 commentaires:

  1. Vous lire m'a permis d'extraire de ma propre boîte à souvenirs quelques uns des moments les plus forts que seuls, ceux qui ont pratiqué ce fantastique métier ont pu vivre. Je me suis aussi remémoré ce jeune Enseigne de vaisseau, frais émoulu de l'école de Tours,et nouvellement affecté à la 59S afin d'y parfaire sa formation de marin/aviateur, et qui m'avait impressionné par son sérieux et son évidente soif de perfection. Mes félicitations pour votre brillante carrière.Bien cordialement. CRUSMAN 11

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  2. CRUSMAN11, je respecte votre anonymat (facile à percer quand on dispose de la bonne liste)mais tiens à vous dire combien je suis sensible à votre commentaire.
    bien cordialement. C.G

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