"Missile parti" (…) "Cible détruite!" (1967)

Ceci se passa un jour de l’hiver 1967. HLP commandait la Flottille 12F, basée à Lorient. Les avions occupaient l’aire de Kerambras sur la base aéronavale de Lann Bihoué. MD était l’officier en second. Nous avions déjà une longue histoire commune. A Salon de Provence, il commandait l’escadron de FOUGA Magister où j’effectuais ma progression et lors du premier saut en parachute de la promotion d’enseignes de vaisseau, il avait été le premier à sortir du DC3 qui nous larguait.

(source: photo collection Amiral Le Pichon)

J’étais encore enseigne de vaisseau et bénéficiais de la confiance du commandant: officier d’armement de la flottille, à ce titre j’avais la charge, entre autres choses, d’instruire l’ensemble des pilotes sur les systèmes complexes qu’ils mettaient en œuvre. En raison de l’acharnement que je mettais à instruire, d’aucuns m’avaient surnommé "l’instituteur"… Quant au pacha, spécialiste du Matra 530 à guidage électromagnétique ou infrarouge, il était bien sûr incollable.

Nous avions deux missiles à tirer sur cible téléguidée CT20 et le pacha décida que je serai le premier à tirer. Chasseur tout temps et sous-chef de patrouille, titulaire de la "carte verte" délivrée par l’escadron spécialisé dans le vol aux instruments de l’Armée de l’Air après de sévères examens en vol et au sol, j’étais autorisé à voler par les minima météo les plus bas. Cependant mon avancement ne suivait pas ma progression opérationnelle. Déjà mes camarades de la Pat Mar (dont certains avaient tenté la chasse sans y parvenir) et ceux restés sur Étendard (quoiqu'encore équipiers) avaient été promus lieutenants de vaisseau. C’est peut-être pour cette raison que le "pacha" cherchait à affirmer par d’autres moyens mon autorité: "petit jeune" sur Crouze , j’étais considéré comme un élément porteur d’avenir…

La neige était là depuis quelques jours et c’est avec des méthodes de Prussiens* et par un froid sibérien que le service armement dut mettre en œuvre, après en avoir assemblé les différentes parties, ces missiles qui, lancés de plus de 15 kms, pouvaient détruire un avion volant à une vitesse supérieure à celle du son.

" - Neige au sol, ciel bleu, les lascars rouges aux avions."

Leader: votre serviteur; n°2: MD. Décollage, rassemblement, montée vers 30 000 pieds, cap au sud-est ; survol du golfe de Gascogne, puis descente travers Bordeaux, prise de contrôle par le centre d’essais des Landes. Tout cela avec un minimum de mots. Je pilotais mon système d’armes comme à l’habitude - nous volions en routine avec des maquettes de missiles - mais cette fois il faudrait appuyer sur la détente… et réussir le tir. Je stabilisai à 14 000 pieds quand on m’annonça le départ de l’avion-cible en montée rapide vers 20 000. J’annonçai bientôt un contact radar à 18 nautiques, 30 degrés gauche ; le contrôleur au sol me confirma que c’était bien la cible. A 14 nautiques, soit 26 kms, je "verrouillai" le radar de bord sur la cible et annonçai "Judy" (traduire: je prends le contrôle de la "passe" à mon compte).

"- Roger lascar rouge." J’avais bien sûr préparé le missile et mis en route le système de refroidissement à oxygène liquide de la tête infrarouge. A 8 nautiques soit 15 kms, le signal sonore "tête de missile verrouillée" et l’indication de gisement cohérente avec l’indication du radar me firent annoncer "engin verrouillé, paré." Entre temps il avait fallu prendre en compte la cinématique de l’avion et de la cible dans les trois dimensions… ajuster vitesse, taux de virage et taux de montée. J’avais choisi de tirer de plus bas. Lorsque la lampe"entrée de domaine de tir" s’alluma, j’attendis encore quelques secondes puis appuyai sur la détente tout en virant sur la gauche en annonçant "missile parti".

Le missile était sur le côté droit et la traînée se détachait en blanc sur le bleu profond du ciel. Je le suivis des yeux quelques secondes encore et tout à coup une boule de feu apparut dans le ciel. En écho à mon "missile parti" j’entendis alors le contrôleur annoncer "cible détruite".

Comme je ne suis jamais lyrique lorsque je suis en vol, j’annonçai :

" - Lascar rouge en virage par la gauche, mise de cap sur Lann Bihoué. Autorisation de monter vers le niveau 350. Rouge Deux, pétrole."

Mais Rouge Deux, lui, était - il l’est encore - un enthousiaste et répondit :

« - Rouge Leader, vous avez une victoire aérienne! Vous pouvez faire un tonneau !! »

Je n’y avais pas pensé. Je fis donc un tonneau (!) et entamai la montée vers le niveau 350…

"Rouge Deux" devenu "Rouge Leader" le lendemain pour le tir du deuxième missile - mais je n’étais pas l’accompagnateur - eut à effectuer un tir beaucoup plus "pointu" aux limites des possibilités du système d’armes: il s’agissait de celui d’un missile à guidage électro-magnétique semi-actif (c’est à dire que la cible est "éclairée" par le radar de l’avion et les ondes réfléchies captées par un récepteur du missile qui intègre les données et élabore des corrections de trajectoire) à très basse altitude en face à face: une sorte "d’Agrég’" en matière de tir de missile à l’époque...

Goz Béïda, le 24 juin 2002.

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* "Mon cher G….. , en matière d’armement, toutes les conneries sont possibles. C’est pourquoi vous devez être "prussien" avec vos hommes… " disait HLP

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