Premier monoplace ou l’envol de l’épervier (1964)

Le monoplace, comme son nom l’indique, est un avion où une seule personne peut prendre place, un pilote bien sûr. La prise de conscience véritable de la situation a lieu au moment où, l’avion aligné sur la piste, le pilote affiche plein gaz pour un ultime contrôle des voyants et autres instruments avant de lâcher les freins et commencer la course de décollage.

Pendant plusieurs décennies, il y eut deux catégories de pilotes: les pilotes de monoplace… et la kyrielle des autres. Dans les Armées, c’est à dire la Marine et l’Armée de l’Air, le pilote de monoplace avait vocation à être pilote de chasse. Depuis Guynemer et le Baron Rouge, c’était ainsi. Les "grands monoplaces" se sont appelés Fokker, Spad, Dewoitine 520, Messerschmitt 109, Fockwulf Long-Nez, Yak, Spitfire, Zéro, sans oublier quelques prestigieux américains: Lim Temco Vought Corsair et Simoun, pour l’aviation à hélice.



Puis vint l’ère des réacteurs: le premier d’entre eux, le Messerschmitt 230 de la fin de la deuxième guerre mondiale puis le Vampire, britannique, l’Ouragan puis le Mystère IV avec les premières ailes en flèche, le Crusader aussi, bien sûr. Avec le temps les choses ont changé. Il y a eu d’abord les simulateurs de vol puis de plus en plus souvent des versions biplaces (comme le Stampe) pour les Mirage par exemple ou les Rafale. Le Super-Etendard est sans doute le dernier monoplace sans version biplaces.

En 1964, à l’issue de la progression suivie avec succès à Tours sur T.33 (T.Bird), avion d’entraînement à réaction, mono-réacteur et biplaces (pour le moniteur) sur lequel les stagiaires volaient parfois seuls, vint le moment du lâcher sur Mystère IV A, constructeur Marcel Dassault.



Cet avion, prestigieux, était très beau, très pur de dessin: monoplace, mono-réacteur, large entrée d’air à l’avant. Lorsqu'avec l’aide d’un chausse-pied - la cabine ou cockpit était très étroite - on avait pris place à bord, mis le casque et le masque à oxygène, branché « l’anti-G » (un pantalon-combinaison très spécial avec un « boudin » le long de l’artère fémorale et une poche sur le ventre qui se gonflent en proportion du facteur de charge pour empêcher le sang de descendre vers les pieds et ainsi préserver en partie le pilote du voile noir lorsque le cerveau n’est plus alimenté), serré le harnais et les « casse-rotules » (deux ou quatre boucles serrées autour des genoux comprenant un anneau dans lequel passe une sangle qui serre automatiquement les jambes contre le siège lors de l’éjection), le pilote faisait véritablement corps avec l’avion. Si l’on tentait de regarder vers l’arrière, impossible de voir les ailes: c’est cela les ailes en flèche. Pour ajouter à l’agrément, avant de refermer la verrière, le mécanicien ôtait les sécurités du siège éjectable. Sur ces avions, en cas de pépin, il n’y a qu’une façon d’en sortir: saisir la poignée haute (au-dessus de la tête) ou basse (entre les jambes), se tenir bien droit, ramener les jambes vers le corps et… tirer.

Mystères IV au repos

Le Mystère était un avion de combat: intercepteur, il dépassait tout juste en piqué la vitesse du son. Il équipait l’armée de l’air israélienne, et - avec quelques avions français - avait participé aux guerres israélo-arabes des années 50-60.

Il y avait bien sûr beaucoup d’excitation et de questions à se poser pour un jeune pilote, armé de 2OO heures de vol, avant le "lâcher" monoplace. Pour ma part, j’étais certes excité mais sans questions: beaucoup d’autres avant l’avaient fait. Pourquoi pas moi ?

--

C’est pourquoi je garde à peine le souvenir de ce lâcher sur mon premier monoplace de combat, par une belle matinée de juillet. Cela fut naturel. Quelques jours plus tard, dans un piqué audacieux au-dessus de la mer entre l’île de Noirmoutier et la côte de Vendée, je brisai pour la première fois le mur du son. Pilotes d’avion monoplace, sorte de "bêtes de combat" à aile en flèche et transsonique, nous savions dans notre groupe que plusieurs parmi nous n’iraient pas jusqu’au bout de la progression: en quelques vols il fallait discerner ceux qui avaient l’étoffe du "chasseur", c’est à dire motivé, vif, accrocheur, précis…et tous ne l’avaient pas. Notre commandant d’escadron était un homme de 35-40 ans. Aimable comme une porte de prison avec les "élèves", il nous faisait remplir son carnet de vol. Et bien sûr, nous en profitions pour regarder ce qu’il avait fait et découvrir des tas de « missions de guerre » au-dessus du désert du Sinaï…. Son prestige était grand et qu’il daigne découvrir que l’on existait nous suffisait. Peu bavard, assez grand, brun, bronzé, costaud, en combinaison de vol, il donnait confiance. Un vrai "leader", pas un moniteur. Cela aussi nous le découvrions.

Lors d’une patrouille à 4 - le commandant n°1, un élève, un moniteur et moi - mon avion n’était pas prêt au moment du départ. Le commandant ne s’occupa pas de moi: les trois premiers mirent en route et commençaient à rouler quand j’arrivai enfin à l’avion… Faute de consigne, je fis le maximum pour aller vite, me "brêler" comme nous disions dans notre jargon, mettre en route et rouler sur les "taxiways" à bonne allure pour m’aligner sur la piste au moment où le troisième décollait. Je ne le compris que bien plus tard - au "débriefing" le commandant n’eut pas un mot à ce sujet - j’avais "bien" réagi. Quelques plumes ou duvets commençaient d’apparaître sur l’aile du jeune épervier.

Mais le mieux se produisit quelques jours après: j’étais prévu en vol à 14 heures avec notre "condottiere" pour un vol à deux, décollage en section (c’est à dire ensemble en formation serrée) chacun sur une demi-piste, montée en évolutions toujours en formation serrée avec changements de poste (gauche, droite), séparations et rassemblements et… poursuite entre 20 et 10 000 pieds. "Briefing" puis aux avions (en silence) et…c’est parti pour une heure de vol intense entre Tours et Blois, dans un ciel pur au-dessus d’une campagne verdoyante dans laquelle la Loire allongeait son cours. Tout se passait comme au briefing. Pas un mot sur la fréquence sauf pour annoncer le transfert du carburant et les changements d’exercice ; le dernier quart d’heure arriva: formation de poursuite à une distance entre 50 et 200 mètres.

"N°2 à poste." C’est alors que commença un moment de rêve avec le leader toujours dans le viseur, toujours légèrement décalé, en haut, en bas, sur le côté pour éviter le souffle… Les figures de voltige s’enchaînaient et au bout de 10 minutes, comme j’étais toujours là, nous entamâmes la descente vers Tours, moi toujours en poursuite. J’ai encore la vision de la Loire coulant mille pieds ou moins dessous, avec le leader "dans le viseur" partant en tonneau barriqué…et moi le suivant.

- "Toujours là n°2 ?

- Affirmatif leader."

Battement de plan, virage doux, je viens en formation serrée, retour au terrain. Dessous les copains sont là qui observent. Toute la journée nous observons les autres. Alors il faut s’accrocher, suer, mouiller, mieux encore, tremper la combinaison pour "tenir" la formation "serrée" jusqu’au "break".

En arrivant en salle de "débriefing", le commandant me dit: "Bon, rien à dire, ça vous a plu? Ah oui, apportez- moi votre fiche de progression." Lorsqu’il me la rendit, la case « section 9 » était peinte en bleu: pas rouge, pas rayée rouge, pas blanche, pas rayée bleu : bleu, vif, intégral. La veille, un camarade pour le même vol avait eu un carré rouge. Il devint pilote de patrouille maritime, eut pendant trente ans la "haine" des chasseurs*, fit une belle carrière et devint même sur le tard mon "supérieur" hiérarchique. Entre nous, il y avait toujours cette différence de couleur sur une fiche rédigée par un pilote de chasse un certain jour de juillet à Tours. Nous le savions tous les deux et je fus pour lui un subordonné pas toujours commode…

Lorsque quelques mois plus tard, de retour dans la Marine sur Fouga, il fut décidé de me "vider" de la chasse parce que… je n’étais pas "drôle", pas "comme les autres", trop "sérieux", je puisai dans le souvenir de ce vol et de la "reconnaissance" muette mais bien réelle du commandant du 5ème escadron de Tours, les ressources pour me battre. Différent, peut-être, vilain petit canard, sans doute ; mais les canards ne sont-ils pas les mieux placés pour reconnaître un épervier? ;)



Goz Beïda le 23 juin 2002.


--


* "Châsseur" : le terme est resté prestigieux.

Dans la Marine, tout ce qui vole sur réacteur monoplace se dit chasseur. Les pilotes d’Etendard et de Super Etendard par exemple, toujours en paquets de 4, 8 ou davantage, le plus souvent au ras du sol, se prétendaient chasseurs, alors qu’ils sont pilotes d’assaut,. Ils professaient d'ailleurs parfois un mépris certain pour les pilotes de Crusader - "rien dans la tête" - dont ils croyaient connaître le métier alors qu’ils ne volaient pratiquement pas quand les poules étaient couchées. Le summum de la prétention était atteint par les pilotes de reconnaissance - Etendard IVP - qui se disaient "chasseurs intelligents" mais ne connaissaient que le vol rectiligne horizontal et, lorsqu’ils appuyaient sur la détente, se contentaient de prendre des photos.

Non, le chasseur c’est celui qui en deux minutes peut passer de l’immobilité au sol ou sur le pont d’un porte avions au vol supersonique à 40000 pieds, regarder le soleil en face, tournoyer à 3, 5, 7g pour garder le "visuel " sur son équipier ou son adversaire, plonger vers la mer ou le sol, l’œil rivé dans le collimateur, et dans la symphonie en bleu du ciel et de la mer, toujours savoir où est le haut et où est le bas - ah le reflet du soleil dans la mer qui peut vous piéger… - et de nuit exécuter une montée Post Combustion allumée en virage à 60°, l’œil dans le radar… et tout cela avec le minimum de mots. "Chasseurs tous temps, mes frères, écoutez, les chiens aboient… Passons."

1 commentaire:

  1. Bonsoir,

    accepteriez vous de rentrer en contact avec moi, je fais des recherches sur les insigne en tissu et j'aimerais savoir si par hasard vous auriez gardé les votre et accepteriez vous de me les montrer en image?

    cdlt

    fr.eagleAgmail.com

    RépondreSupprimer