Percée à hauts risques

En ce début du mois de décembre 1975, je commandais la Flottille 12 F. Les officiers d’active volontaires pour le Crouze, où 25% des vols étaient effectués de nuit, s’étaient faits rares, force était de le constater. Pour trois que l’on trouvait à la 12 F, il y en avait douze à la Flottille 11 F, armée d I’Etendard IV dont les missions n’étaient exécutables que de jour. Pour eux, le vol de nuit était secondaire, se réduisant au minimum requis pour un départ en mission à l’aube ou un retour au crépuscule. Évidemment à la "onze", quand la formation était à Landivisiau, le "dégagé" était normalement celui de la base, c’est à dire à 16h45. A la douze, c’était plutôt 1 heure du matin. Demandez aux épouses, compagnes et enfants ce qu’ils en pensaient….

Les fonctions d’officier d’armement, des vols et de sécurité étaient tenues par des officiers mariniers, tous pilotes expérimentés et chefs de patrouille (ce qui fut formateur puisqu’ils devinrent tous officiers par la suite). Pour les jeunes officiers d’active, la situation pouvait devenir difficile ou intenable lorsqu’ils avaient des difficultés de progression en vol. L’homme étant ce qu’il est, aime à établir un rapport de forces dès lors qu’il est dominant. Et la rivalité officier/officier marinier était une réalité dont je n’ignorais rien

Nous étions à Nîmes en cette fin d’automne. Le plus jeune des officiers connaissait quelques problèmes, ce qui survient toujours ou presque au cours d’une progression. Pour ce vol de nuit, j’avais décidé de voler avec lui, histoire de le mettre à l’aise car nos relations étaient excellentes. J’appréciais l’officier et l’homme, il fallait aider le pilote.

Plafond 3000 pieds. Une couche turbulente jusqu’à 15000 et beau au-dessus. C’est ce que disait la météo et c’était exact. A priori un vol simple.


(source photo: ici)

Décollage individuel à 30 secondes d’intervalle, montée en suivant au radar puis rassemblement à 20000 pieds. Las…je tombai en panne radio. Il me restait la fréquence "Garde" que veillent tous les avions et les tous les organismes de contrôle aérien, qu’ils soient civils ou militaires. Mais là encore, je ne pouvais recevoir que les émissions proches. Le n°2 me rassembla, je lui annonçai sur "Garde" mes ennuis, lui dit de prendre la tête pour percer aux ordres de l’approche et me ramener au terrain, moi même en formation serrée sur lui. Rien de bien compliqué mais cela tombait mal. Lorsque je me plaçai en formation serrée, je le sentis tout de suite nerveux aux commandes.

A Nîmes, lorsqu’on est au nord et à plus de 20 milles nautiques, il y a une altitude de sécurité en dessous de laquelle il ne faut pas descendre car… le massif des Cévennes se trouve là et le Mont Aigoual culmine à 7000 pieds. La percée commença. A 15000 pieds, en entrant dans la couche de nuages denses et très obscurs, je dus "m’accrocher" pour ne pas perdre mon leader, plutôt nerveux. Quand on est jeune équipier, on n'aime pas être en tête, alors de nuit, dans les nuages, avec un leader en panne, cela rend nerveux et c'est normal.

Le Mont Aigoual

J’étais à sa gauche, le virage à 12000 pieds s'effectuait par la droite et je ne pouvais contrôler la trajectoire suivie en regardant le cadran du Tacan (l’instrument qui donne azimut et distance d’une balise): en effet, le cadran se trouvait à gauche du tableau de bord et il n’était pas question de quitter des yeux celui que je suivais. Les nuages étaient turbulents, il fallut m’accrocher… grave!

Nous sortîmes du virage à 8000 pieds, toujours en descente, le contrôle de la percée, dirigée depuis le sol, s’effectuant sur une fréquence que je ne pouvais recevoir. Profitant de la ligne droite de sortie de virage, un coup d’œil rapide au cadran du Tacan me fit découvrir que nous n’étions pas à 15 nautiques dans l’axe de la piste et à l’est du terrain, c’est à dire au dessus de la plaine de la Crau, comme cela aurait dû être à cette altitude, mais à 50 nautiques dans le nord, au-dessus du Massif Central... horreur et damnation! Le contrôleur s’était sans le moindre doute trompé d’écho sur son radar… genre d'erreur bien connu qui avait déjà coûté quatre Mirage et la vie de quatre pilotes de l’Armée de l’Air, deux en Corse et deux à Dijon. Mon leader d’infortune ne l’avait pas compris. M’efforçant au calme, sur fréquence "Garde" je dis:

-"Bleu 2 de Bleu leader, arrêtez la descente "
Rien ne se passa!

-"Bleu 2 rentrez les aérofreins, arrêtez la descente "
7000 pieds ! Rien …

-"Deux de leader, j’ouvre à gauche et je remonte au-dessus de la couche, plein gaz pour vous et remontez à ce cap, on se retrouve au-dessus."

Tout le Sud Est de la France entendit cela y compris le contrôle de Nîmes… Bleu deux, enfin seul, exécuta mes ordres. Nous nous sommes retrouvés au-dessus de la couche, je le rassemblai, lui expliquai brièvement qu’il y avait eu confusion d’écho. "Nîmes approche" nous reprit en compte. Mais la voix du contrôleur n’était plus la même, me dit-on plus tard. Je redonnai à Bleu 2 la tête de la section. Quinze minutes plus tard nous étions posés.

Mon jeune équipier vint me voir le lendemain et me demanda d’arrêter de voler. Il était arrivé au bout du rouleau bien que je ne lui eusse fait aucun reproche. Je m’attelai à comprendre pourquoi il était mal à l’aise sur Crouze. Je découvris dans son livret que ses progressions sur Fouga, Etendard, Mystère IV étaient bonnes – tous avions français – mais pas sur T33 ni sur F8E… américains. Question d’ergonomie sans doute. J’obtins qu’il passe sur Etendard IV P avec un P comme Photo, dans une flottille de reconnaissance qui ne comptait que des officiers et ne volait pas souvent la nuit.

Le contrôleur ne contrôla plus jamais ; il n’était pas fait pour ce métier, ce qui peut arriver mais doit être compris avant une tragédie. Son chef d’équipe en était conscient mais était absent cette nuit-là. Dix sept ans plus tard, alors que je m’apprêtais à quitter le commandement de la base aéronavale de Landivisiau, un major contrôleur nouvellement affecté demanda à me voir. C’était cet ancien chef d’équipe que cette vieille histoire pourtant bien terminée tracassait encore après tout ce temps… Alors nous en avons parlé parce que parler est une excellente thérapie. En aéronautique, il est impossible de mentir et de se mentir. Mais il est sain de convenir que l’erreur est toujours possible et qu’il n’y a que ceux qui ne font rien à qui il n’arrive jamais d’en faire.


Goz Beïda, le 6 juillet 2002


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