Une « évasan » un peu pointue… (2001)

Les anecdotes aéronautiques présentées ici ont été écrites au cours de deux séjours à Goz Beïda, petite ville de l'est du Tchad, en 2001 et 2002. J'étais alors pilote pour Aviation Sans Frontières, au service d'une ONG italienne...

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J’étais sur la terrasse quand le messager survint ; un peu plus de midi, alentour les collines étaient en feu. A Goz Beïda, dans ce coin reculé de l’Est du Tchad, aux confins du Soudan et de la République Centrafricaine, j’étais le pilote d' "Aviation Sans Frontières" au sein de la mission italienne médicale: un petit hôpital, un chirurgien, deux médecins, une infirmière, un homme, trois femmes… et moi et moi, comme dit la chanson!

Arrivé la veille de N’djamena, j’étais pour la première fois seul comme pilote de ce Maule qui m’avait donné tant de soucis et même de frayeurs 8 jours avant, quand son moteur essoufflé m’avait obligé à revenir d’urgence au terrain, trop content d’y arriver lui et moi entiers… Mais maintenant, j’avais confiance: un cylindre neuf, une carburation bien réglée…

J’avais reconnu tous les terrains sauf un, le plus éloigné, à la limite des trois frontières. Je savais seulement que la piste était nouvelle mais ignorais sa position, sa longueur, son état, son orientation… Je ne sais pourquoi, mais en voyant le messager, je sus tout de suite que c’était là qu’on demandait une évacuation sanitaire d’urgence ; j’avais raison. La direction de l’hôpital ne voulait pas que je parte. Trop risqué. Le chirurgien hésitait ; l’infirmière m’y poussait: arrivée la veille avec moi, elle était prête à repartir. J’ai réfléchi cinq minutes. D’un côté beaucoup d’incertitudes, de l’autre une femme enceinte avec de terribles "complicazzione" à 200 kms de là. Je décidai d’y aller ; un infirmier tchadien m’accompagnerait. Par message on demanda au responsable sur place, à Tissi, d’allumer un feu à chaque extrémité de la piste dans un délai d’une heure et demi.

A 13h20 le Maule nous emportait dans une atmosphère turbulente où le vent, la fumée des brûlis et le soleil joignaient leurs effets. Mais je tenais fermement l'avion sur sa trajectoire ; le GPS donnait 65 minutes pour arriver à la position de l’ancienne piste… Sous les ailes, la terre noircie alternait avec le grand serpent de verdure qui suivait les méandres larges d’un oued ; de temps en temps mon "copilote" me passait la bouteille d’eau fraîche, car la gorge était sèche. Au point dit, il n’y avait plus rien à voir ; l’ancienne piste avait disparu. Je fis de larges cercles puis apercevant à quelques kilomètres les cases d’un village, je demandai à l’infirmier si c’était bien Tissi ; son oui encourageant me fit alors survoler le village en un autre large cercle dans lequel on n’apercevait nulle piste, quand j’entendis mon compagnon me dire: "là-bas, fumées… !"

Une minute plus tard je découvris une piste superbe, pourtant bien courte, bordée de grands arbres d’un côté et les deux extrémités de piste encadrées chacune de deux grands et larges arbres, un peu comme les poteaux d’un terrain de rugby où le Maule jouait le rôle du ballon ovale… Gaz réduits, mélange plein riche, hélice plein petit pas, volets 24, puis volets 40: la piste est là, juste devant. Éviter l’arbre de droite, s’aligner, ne pas accélérer, arrondir, réduire, toucher à l’entrée de bande ; maintenant il reste à s’arrêter… C’est juste fait là-bas, tout au bout de cette courte piste. Pari gagné. Moteur coupé. Et c’est cent, deux cents, trois cents personnes enthousiastes qui sortent de sous les arbres.

Le responsable est là. Responsable de la santé, de la piste à laquelle tous ont mis la main pour la terminer le plus vite possible et qui est inaugurée en ce jour. Pendant que l’infirmier s’occupe des malades qui arrivent - car il y a en plus de la femme, un vieil homme en piètre état. J’arpente la piste, note la position GPS, mesure sa longueur - 370 mètres quand 450 sont un minimum - évalue l’obstacle que constituent les arbres de part et d’autre des seuils, détermine l’axe privilégié au décollage, face à l’ouest, car les arbres situés dans l’axe sont plus éloignés. Nous revenons à l’avion: d’un geste des deux mains ouvertes accompagné d’un sourire, je demande à tous de s’éloigner ; ce sont trois cents sourires qui y répondent (quel financier connaîtra un tel retour sur investissement dans un délai aussi court ?) tandis qu’autour de l’avion le cercle s’agrandit. On retourne l’avion où les deux malades ont été installés.

En route le moteur, actions vitales effectuées, un dernier signe aux spectateurs. Le soleil dans les yeux, je mets plein gaz, 24°de volet et lâche les freins. Le bout de la piste arrive vite, l’avion peu à peu s’allège: j’ai confiance mais ne quitte pas des yeux l’embut de rugby ; bout de piste, l’avion a décollé, je le tiens au pied et au manche, la main droite sur la manette des gaz ; ça y est, l’embut est passé ; reste l’obstacle des grands arbres dans l’axe un peu plus loin…Lui aussi bientôt dépassé.

Retour agité avec une visibilité réduite par le soleil. Mon copilote vomit… Trop d’émotions peut- être… 16h20, nous voilà à Goz Beïda. A 18h30 la femme est délivrée de son enfant mort trois jours plus tôt en son sein d'où n’émergeait qu’un petit bras inerte… La mère est sauvée… mission accomplie.

Goz Beïda,le 26 octobre 2001.

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