Pilote, bien sûr, mais dans quelle catégorie ?

(Photo: Marine Nationale)

Ces pages d’anecdotes aéronautiques sont écrites à la demande de ma fille, à son intention et à celle de ses frères ; Soazic les connaît toutes. Elles ont été rédigées pour leur plus grande part à Goz Beida (Tchad) lors de plusieurs missions pour Aviation Sans Frontières.

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Je ne fus jamais ce que l’on appelle un pilote brillant, mais plutôt un pilote complet, discipliné, réfléchi, sûr en somme, apprenant lentement mais en profondeur.

Je fus le pilote d’un avion même si j’en ai connu d’autres, avant et après le Crusader. Ce fut une rencontre, une "belle histoire" qui dura jusqu’à sa disparition. Les souvenirs sont intacts. Comme le disait un de mes commandants préférés: "je ne sais pas si les hommes ont une âme, mais je suis sûr que les avions en ont une…" ; il ajoutait: "quand on aime les avions, ils le savent et vous le rendent". C’est sans doute pourquoi, au cours de 2249 heures dont plus de 400 de nuit, le Crusader m’a toujours ramené au sol avec mes équipiers ; quelques membres de la famille - le 39, le 4, le 6 - ont bien essayé de me faire quelques méchants coups mais c’était sans doute pour m’éprouver. Pendant les cinq années où j’ai co-présidé puis présidé aux destinées de la Flottille, nous ne perdîmes aucun avion ; quand un mécanicien imprudent fut avalé, il en réchappa. Le "mangeur d’hommes" pour cette fois lui fit grâce…

Curieusement quand je me tourne vers ce passé aéronautique, c’est d’abord aux avions que je pense - j’ai connu, avec leurs particularités, chacun des Crusader individuellement - puis aux mécaniciens qui eux aussi aiment les avions ; seulement après, aux pilotes. Peut être parce que, pour la plupart d’entre eux, l’avion n’est que le vecteur de leur volonté de puissance, c’est le cheval qu’on éperonne et qu’on cravache. Je ne dis pas qu’ils ont tort ; sans doute même ont-ils fondamentalement raison. Mais on peut aussi être "pilote de fer à repasser", savoir regarder le Crouze comme "13 tonnes de métal hurlant" et préserver une part de rêve. Ce fut mon choix ; rêver sa vie, rêver les êtres, rêver les avions… Après tout, si c’était cela la vérité, que la vie est un rêve?

En vol, quel que fût le type de vol, je préservais toujours quelques instants pour ce que j’appelais "la contemplation": des étoiles, de l’obscurité au- dessus de la mer, des nuages, d’un paysage "au ras des briques" ou au contraire du haut des 50 000 pieds où ma monture m’avait conduit.

"Vous êtes un rêveur, un poète" me dit une fois amicalement mon maître en pilotage, le maître principal Roger, "cela vous jouera un tour un jour ou l’autre". Il était un pilote de chasse accompli, d’une adresse rare et il m’aimait bien. J’étais jeune pilote et il était en charge de ma formation comme chef de patrouille. Un an plus tard, en exercice de combat aérien à basse altitude, peut-être fasciné par l’objectif, il partit dans une manœuvre dans le plan vertical, oubliant la présence du sol qu’il percuta, avion à l’horizontale, post-combustion enclenchée, faisant dans la forêt de Brocéliande un trou de 100 mètres de diamètre. C’était le 10 juillet 1969 à 15h00.

Je l’admirais, je l’appréciais et d’une certaine façon éprouvais quelque chose qui ressemblait à de l’amitié même si, à part l’aviation, tout nous séparait. Il m’avait dit, quelque temps auparavant, que la même mésaventure lui était arrivée mais que cette fois là "c’était passé". C’est peut être aussi pourquoi je n’ai plus cherché à me lier, ou bien plutôt ai-je ensuite gardé mes distances, avec les pilotes. La vie est fragile dans ce métier et il convient de se réserver une marge de protection: le rêve oui, mais l’affection, les sentiments…? Dangereux pour l’unité d’esprit. C’est sans doute pour cela que j’ai résisté si longtemps au charme de Soazic. Je savais trop qu’un pilote n’est que la moitié émergée d’un couple. Soazic a été et est toujours l’autre moitié ; dans son cas elle fut, elle est, celle qui équilibre l’ensemble: elle qui n’aime guère la troisième dimension est une exceptionnelle "femme de pilote" autant que "femme de marin".

Goz Beïda,
aux confins du Tchad et du Soudan, le 20 octobre 2001.

1 commentaire:

  1. Bonjour,
    j'ai découvert votre blog aujourd'hui même, et je me régale à le lire (et à découvrir les photos qui l'illustrent).
    Je suis passionné d'aéronautique, et vie cette passion au travers des BD d'aviation que je dessine, mais aussi au travers ma collection d'équipements de vol français. A ce sujet, j'aimerais vous poser quelques questions, si cela ne vous dérange pas, car j'ai quelques projets en rapport avec le Crusader. Par exemple je remonte un mannequin sur base du casque d'un certain DGE de 1989, ce trigramme vous dira certainement quelque chose vu que vous aimez l'appontage de nuit ;) N'hésitez pas à m'écrire via le formulaire de contact de mon site internet gueneauandco.free.fr/contact.php
    Merci par avance.
    Matthieu Durand

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