La Provence par-dessus tête ou première rencontre (janvier 1963)

Salon de Provence, l’Ecole de l’air, alias "le piège" (parce que le mistral qui souffle fort et souvent, vous pousse pour y entrer et vous empêche d’en sortir…).

Tout juste rentré d’Algérie (Arzew, l’accueil, "le tri" des réfugiés de juillet à décembre 1962, leur transport par bateau aussi, la recherche de mon père dans le quartier de Bab El Oued à Alger, le 23 décembre…), me voici en "école de spécialité" en vue d’acquérir le brevet d’aéronautique. Trois mois de théorie et un stage de ski pour nous mettre en forme avant d’entamer les vols.

Le premier vol sur Fouga Magister CM170, deux réacteurs Marboré VI, deux places en tandem, je le fis avec celui qui devait m’accompagner jusqu’au lâcher. L’adjudant R., alsacien, chasseur, formé aux « zuesses » (lire U.S.A.) était un pilote rigoureux et… militaire. Ce premier vol était aussi notre première rencontre.

(source photo: ici)

En ce matin, le ciel de Provence était limpide. Pour la première fois je portais combinaison, casque, visière et masque à oxygène et j’occupais la place avant. 22 600 tours, 400°, lâcher des freins, la piste qui défile 50 cm sous mon siège… impressions, décollage… et visite des environs: la Durance, le Vaucluse, le Lubéron, Aix en Provence, tout cela pendant trente minutes. R. me dit alors : "nous allons nous axer sur la Crète du Lubéron et je vais vous faire une petite série de voltige. Si ça ne va pas, passez l’oxygène sur 100% et prévenez moi."

L’autre moment attendu depuis… 23 ans était arrivé: l’avion cabre à 60° puis passe sur le dos, continue sur une trajectoire courbe et dessous c’est la terre qui bascule puis se met à tourner autour de nous ; la tête en bas (ou bien la terre en haut ?), l’avion continue sur sa trajectoire et pique vers le sol en accélérant tandis que tout à coup me voilà écrasé sur mon siège, pesant deux, trois puis quatre fois mon poids…

- Ça va devant ?
- Oui, tout va bien !
parviens-je à articuler.
- Alors on continue.

Une boucle, deux boucles, huit cubain, rétablissement, c’est fini.

- Ça vous a plu ?
- Magnifique ! répondis-je.
- Alors on remet ça! dit une voix enthousiaste dans les écouteurs…

L’adjudant R., sans le manifester, savait qu’il avait sans doute pour élève un futur "chasseur" ; c’est ce que je compris quelques mois plus tard. Une relation confiante s’était établie. Dans mon souvenir, elle reste attachée à ce jour où la Provence, par un beau matin, avait basculé par-dessus ma tête…

Deux ans plus tard, breveté "chasse" et pilote d’Etendard IV M, je repassai par Salon et lui demandai de bien vouloir tordre l’aile droite de mon "macaron" (insigne) de pilote: c’est ce que chaque pilote peut demander à celui qu’il reconnaît pour être son initiateur. Il en fut plus ému qu’il ne le montra. Alsacien, il passait pour être sévère et il était bien sûr heureux de s’exécuter, d’autant que quelques « élèves » traînaient par là. Je ne l’ai plus revu depuis, mais le souvenir demeure. Et l’autre aile alors? La gauche, celle du cœur… Bien des années après, c’est à Soazic que j’ai demandé de bien vouloir lui imprimer sa marque…

Goz Beïda, le 27 octobre 2001

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Macaron de pilote de l’aéronavale.

(Créé en 1912)


" L’étoile pour te guider,

Les ailes pour te porter,

L’ancre pour t’amarrer

Et la couronne pour te dire adieu."



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