Zone interdite et fraises de Plougastel (1971)

Tout a commencé un samedi soir pluvieux du mois de février 1971 . Le porte-avions était à quai à Brest et le carré des officiers avait organisé une soirée à laquelle les officiers des Flottilles embarquées étaient invités. Une sympathique occasion pour les maris et les épouses de se rencontrer, brestois, landivisiens et lorientais, "surfaciers", pilotes d’hélicoptères, d’Alizé, d’Etendard et de Crusader se retrouvant l’espace d’un moment convivial dans le cadre d’acier de notre base aéronavale mobile et flottante.

Il devait être aux environs de 22 heures, juste après que l’Amiral eut fait une brève apparition, quand le bruit commença de courir: il y avait une opération en train de se déclencher… et les unités concernées étaient, comme c’était la norme, à 24 heurs d’appareillage. Toutefois la sagesse veut que l’on ne prête pas attention aux bruits qui courent, il en court tant! Et la soirée se continua dans la bonne humeur générale.

Ce fut le lendemain dans la journée d’un dimanche de tempête de suroit que le message tomba! Pour les officiers de garde de la base aéronavale, il fallut prévenir et faire rallier tous ceux qui étaient concernés par la préparation des avions et du matériel et dans la soirée ce fut quelques centaines de mécaniciens et quelques tonnes de matériel qui prirent la route de l’arsenal pour un appareillage ordonné en début de matinée le lundi.

J’étais à l’époque officier–opération de la Flottille 14F. Les 12 avions de la formation étaient donc parés, plein de carburant effectué et les pilotes répartis en trois patrouilles de quatre, avec le commandant, le second et moi même comme "leader" de chacune d’elles. Les ordres de décollage émanaient du porte avions. Seulement voilà, la tempête de suroit ne faiblissait pas et la mer au large de Brest était grosse et même très grosse. L’Etendard IVM était réputé pouvoir apponter par des conditions difficiles considérées comme rédhibitoires pour le Cruse, plus lourd, moins vif, au train d’atterrissage plus étroit. C’est ainsi que la journée passa pour les pilotes de la 14F, en combinaison étanche, à regarder décoller les patrouilles d’Etendard… et à les voir se reposer, aucun d’eux ne réussissant à apponter! La fin de l’après midi et la nuit s’annonçaient sans que rien ne laisse prévoir… la suite! A savoir l’ordre de décollage pour les NEGUS VERT, ma patrouille, pour rallier dans les plus brefs délais le porte-avions. Oui, mais où? Et pour quelle sorte de mission avant appontage ?

Pour pouvoir bien manœuvrer, ce type de bâtiment a besoin de filer au moins huit nœuds en surface. Pour apponter, les avions ont besoin d’avoir entre 25 et au maximum 40 nœuds de vent sur le pont dans l’axe de la piste oblique, sachant qu’un nœud égale 1,85 km/heure . Un marin de génie découvrit à bord que vers 16 heures en baie de Brest il y aurait un courant de 6 nœuds dans le même sens que le vent alors de 30 à 35 nœuds de secteur ouest. Donc si le porte avions se plaçait au fond de la baie à la vitesse de 8 nœuds en surface, il se déplaçait à seulement 2 nœuds sur le fond, ce qui lui donnait un créneau d’une heure environ pour ramasser au moins une partie du groupe aérien. Et les Cruse en alerte depuis le matin étaient fins prêts.


Crusader à l'appontage


C’est ainsi que je décollai avec ma patrouille en deux sections de deux avions, avec rassemblement sous la couche fort basse (600 pieds à peine). Sitôt ceci fait, mise de cap sur la baie de Brest située à cinq minutes de vol, en pleine zone habituellement interdite aux aéronefs pour cause de base de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins.

Les conditions étaient rien moins que confortables pour se présenter à quatre avions en formation serrée, formation que je choisis en diamant pour donner plus de souplesse dans la manœuvre. Dans l’axe de la présentation se trouvait une grande antenne dont le sommet disparaissait dans la couche de nuages toujours aussi bas, et qu’après séparation pour appontage les n° 3 et 4 de la patrouille furent obligés de contourner. Du jamais vu !

Formation "en diamant"

Et comme pour apponter, il y a un poids maximum à respecter, il nous fallut vidanger quelques milliers de litres de kérosène chacun dans le circuit d’appontage. Celui-ci nous contraignit à survoler la base des SNLE et les champs de fraisiers de Plougastel heureusement pas encore en fleurs. Une expérience rare dans de telles conditions, dictées par les seuls impératifs opérationnels, la priorité étant de ramasser le groupe aérien avant de filer vers le sud pour d’éventuelles opérations.

Comme tout cela coïncidait avec la sortie de l’arsenal, l’on nous rapporta plus tard qu’il y avait un grand nombre de personnes pour assister au spectacle depuis la ville toute proche. En une heure, tous les Crouze et les Alizés étaient posés juste avant la nuit. Les Etendard quant à eux rallièrent le lendemain dans des eaux calmées du golfe de Gascogne.

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