Le petit Maule et la haie de grands arbres (2002)

C'était le 5 juillet 2002 à Goz Beïda (Tchad).
Depuis la veille, je savais que je devrai décoller de bonne heure pour Saraf Borlo chercher une jeune femme souffrante. A Saraf, un seul pilote s’y est posé. Je sais par lui que la piste est courte, difficilement identifiable mais que sa position GPS est précisément connue. Le Maule, pourtant connu pour sa rusticité et sa fiabilité dans toutes les conditions d'usage, me donnait des soucis (en France l’avion aurait été arrêté de vol depuis longtemps). J'ai donc demandé que l’infirmier accompagnateur soit un poids plume. Ce sera Armand.

Au cours du vol précédent, entre N’Djaména et GozBeïda, j’avais dû chercher à 3 reprises où poser l’avion en campagne : le moteur crachouillait et donnait des signes de faiblesse, avant de repartir! Trois autres décollages sur pistes relativement longues (600m) s’étaient effectués en extrémité de course, aux limites de sustentation…

En route donc, et en ce presque frais matin, le décollage fut pour une fois normal ce qui me mit en confiance. Armand était curieux de tout et je lui expliquais la carte, le paysage, montagnes et pistes, cours d’eau grossis par les pluies, vitesse, cap, altitude. Un excellent passager en somme.


Des fleuves d'eau et de sable

Arrivé à la verticale de la piste si j’en croyais le GPS, je ne vis rien, que des arbres et des maisons, des huttes éparpillées dans le paysage. Je fis un virage complet et ne distinguai toujours pas ce qui pouvait ressembler à une piste de 10 m de large dont je savais pourtant qu’à l’extrémité sud se trouvaient quelques pierres peintes en jaune (pour ce qui est de la manche à air, je la savais… inexistante). Je m’éloignai donc et revins axé au sud, surveillant la distance au GPS ; des arbres, des maisons, une vague bande de terre, pas très droite… Est-cela ? Je continue, stable au cap, volant à 100 ou 200 pieds. Une ligne d’arbres se présente et juste avant… trois pierres peintes en jaune! Deux minutes plus tard je posai l'avion face au nord.

La piste d'atterrissage de Saraf
Bonjour tout le monde! Oui, forcément, l’avion est l’attraction et tous les villageois sont présents quand nous faisons embarquer la patiente, une femme de 18-20 ans à ce que l’on nous dit ; je lui en donne 12, j’apprendrai plus tard qu’elle en a 15 en réalité. Son accompagnant est un vieillard: son grand-père? Non, son mari…


Le comité d'accueil au village!


Nous remontons la piste, je me cale juste avant les pierres, mets plein gaz sur freins - tout juste 26 à la pression d’admission au lieu de 28 ou 29 - fixe le bout de la piste à 400 mètres de là et un peu plus loin une ligne de hauts arbres. Le vent est de travers, ce qui n’est pas fait pour aider. L’indicateur de vitesse a des battements de + ou - 7 nœuds… Difficile de savoir si l’avion est à la vitesse de décollage quand, sur une bosse, il décolle sans mon accord! Je le recolle au sol… Le bout de la piste est bientôt là, je soulage le nez en douceur, il vole et il grimpe mais pas très vite, c'est à dire: pas assez vite à mon goût. Cette fois la haie d’arbres se rapproche: passera? Passera pas? Je la perds à la vue sous le nez de l’avion... Quelques secondes de suspense intense… C’est passé! L’infirmier, confiant, ne s’est rendu compte de rien. J’ai la bouche un peu sèche et continue la procédure de montée tout en reprenant mes explications aéronautiques pour mon passager à la soif d’apprendre et de comprendre…
Ce fut mon dernier vol sur le "petit Maule".
Le 13 juillet au soir Jean-Marie m’annonça son arrivée avec Zoltan pour le 14 après midi, avec un Cessna 182 et une bouteille de Champagne. Le petit Maule repartit le lendemain, non sans difficultés, pour N’Djaména aux mains de deux pilotes chevronnés. Il y fut remis aux normes avant d’entamer un long périple trans-saharien vers la France pour y être vendu…
Goz Beïda, le 18juillet 2002.

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