Le petit Maule qui n’en pouvait mais…. (2001)


En ces derniers jours de septembre 2001, je me présentai à Orly Fret, au siège d’Aviation Sans Frontières (ASF) avant de partir pour ma première mission à Goz Beïda dans l’est du Tchad, à peu de distance de la frontière du Darfour et donc du Soudan. J’avais été gâté, pour cette première: j’arriverais à la fin de la saison des pluies…

Le Président me reçut brièvement: il n’eut que quelques mots pour me dire que je trouverai là-bas un Maule en excellent état. Je passai ensuite au bureau des mécaniciens qui me confièrent quatre bougies neuves avec leurs rechanges pour permettre de remettre en vol l’avion dont le moteur comptait justement quatre cylindres…

Mon expérience aéronautique sur monoréacteur et monoplace était grande (et cela allait me servir par la suite). Par contre, mon expérience sur petits avions à hélice était réduite à celle d’un modeste pilote d’aéroclub au nombre réduit d’heures de vol, toujours ou presque effectuées par beau temps au cours des 40 années passées, que ce fût en Bretagne, dans le Midi, dans le Sud Ouest ou au Sénégal. Quant aux hélices à pas variable, je ne connaissais leur emploi que par la lecture du guide du pilote amateur!


Lorsque j’arrivai dans la nuit suivante à Ndjaména, je fus accueilli par une chape de chaleur, odorante car de l’Afrique sub-saharienne émane une odeur entêtante que le voyageur n’oublie pas, et… un prédécesseur fiévreux et bougon. Lui, je l'avais reçu à la maison quelques mois plus tôt. Il était titulaire de deux mille heures et plus sur avion léger et propriétaire de l’un d’eux. Aussi me sentais-je très amateur à côté de lui, avec mes 70 heures sur avion léger.

Le lendemain nous nous rendîmes à l’aérodrome, partie aéroclub. L’avion y partageait un hangar sale et en désordre avec le campement d’un famille tchadienne avec femmes, enfants et grands parents dont le chef était un vieillard et…. le gardien de notre précieux Maule. Ce dernier était sur vérins, capot moteur démonté et posé à même le sol. A l’ouvert du hangar, un superbe Cessna 208 gisait sur le dos, victime d’un orage alors qu’il n’était pas campé ; il y avait aussi la carcasse d’un avion léger dont j’appris qu’il servait de magasin à pièces détachées pour notre Maule. Parlerai-je des serpents venimeux qui y trouvaient leur place?


Mon prédécesseur, toujours aussi fiévreux et bougon, s’attaqua à la finition de la visite "50 heures" du Maule et je passai une partie de la journée à jouer l’aide-mécanicien pour le montage des bougies, le plein d’huile, la laborieuse remise en place du capot et tout le reste. Un autre personnage fit cependant son apparition: un ancien président d’ASF, créateur de la mission "Tchad-Goz Béïda" et pilote de l’aviation générale n’ayant aucune sympathie (je l’apprendrai plus tard) pour les pilotes de ligne et les militaires. Passant par là, il m’expliqua que l’avion était en mauvais état et que si je le voulais, je pouvais très bien repartir... par le prochain courrier. C’est dans ces conditions qu’en fin d’après midi nous partîmes pour effectuer un bref vol de contrôle. Je ne savais rien de l’avion mais mon bon camarade me mit en place gauche pour me mettre en confiance et me dit : "à toi les commandes pour ce vol", Bigre!

Le lendemain nous prenions la direction de Goz Béïda à 700 km à l’est, soit près de quatre heures de vol, toujours avec moi aux commandes. J’avais connu le Tchad en opérations en 78 heureusement. Cependant l’avion, la mission, le pas variable et tout ce que cela implique dans la conduite de l’avion, sans parler du climat et l’hostilité de l’ancien, cela faisait beaucoup de choses à assimiler. Les huit jours suivants furent consacrés à la découverte de la mission médicale italienne au profit de qui nous étions là, des huit pistes de brousse de mon nouveau domaine et à l’apprentissage de la maîtrise de l’avion.

La piste et le hangar à Goz Beida

La piste de Goz Beida

L'instabilité de la configuration d’atterrissage du Maule me posait bien des problèmes et me faisait connaître le doute sur mon aptitude à exécuter la mission. Je découvrais aussi un avion dont la mise à l’air libre du réservoir principal avait tendance à faire usage de vide-vite quand il était plein, dont le pot d’échappement était dessoudé et dont l’huile fuyait, elle aussi, en gouttant sur la partie chaude de l’échappement, sans omettre un problème récurent d’allumage! "Un avion sans problème"* comme me l’avait dit le président… Monomoteur idéal pour survoler les étendues désertes et inhospitalières, de préférence avec une malade en évacuation sanitaire!


Lorsque par un beau matin, nous décollâmes vers la capitale, j’étais en charge de la mission et de l’avion depuis la veille. Anna, chef de la mission italienne (COOPI), responsable pour tout le Tchad et résidant à Ndjaména, avait pris place à notre bord avec ses valises et celles très conséquentes de mon prédécesseur qui pesait à lui seul ses 90 kg ; aussi la course de décollage s’avéra nettement plus longue que d’habitude( la piste de terre et de cailloux faisait 600m de long) et c’est juste après que le compte-tours moteur tomba en panne. Ce fut donc ma première décision: celle de continuer avec un instrument de contrôle moteur en moins pour un long vol au-dessus de terres inhospitalières.

Mon compagnon d’infortune, qui m’avait fait quelques confidences sur la situation réelle de notre aéronef, ne put que me souhaiter bon courage tandis que je m’attelai au dépannage du compte-tours: c’est ainsi que je passai deux bonnes heures sur le dos, jambes en l’air, par 40° à l’ombre, la tête sous le tableau de bord pour finir par réussir à effectuer le remontage de la pièce de rechange. Mon prédécesseur était parti le soir même par le vol d’Air France. Je retrouvai un mécanicien bénévole d’ASF arrivé par le même avion: il disposait de deux jours pour remettre le Maule en état de voler et… n’y réussit pas. A son départ les paramètre-moteur ne répondaient plus aux minima requis pour le vol, l’essence continuait de couler par le trop plein, l’huile de goutter et le pot d’échappement de brinquebaler. Quand je l’eus raccompagné à l’avion qui le ramenait à Paris, je ressentis un profond sentiment de solitude.

Heureusement il me restait le soutien précieux d'Anna, épouse d’un médecin tchadien et francophone mais qui m’avoua sans ambages qu’elle ne remettrait plus les pieds dans le Maule. Logé de façon simple dans la banlieue à la "casa coopi", c’est ensuite que les vrais ennuis commencèrent avec dés le lendemain l’essai infructueux de lancer le moteur pour vérifier une nouvelle fois le fonctionnement des instruments.

Mon correspondant à Paris hésita à arrêter l’avion puis me conseilla d’aller trouver le chef mécano Roby (un ancien de l’Armée de l’Air) de la petite société aéronautique voisine, ce que je fis. Le contact s’établit immédiatement, il examina l’avion, fit un diagnostic et me prêta deux mécanos pour les faire travailler sous ma propre responsabilité. Solidarité aéronautique oblige! Trois journées de travail permirent finalement d’effectuer un vol de contrôle avec Hassan, le plus féru des deux mécaniciens. A mon grand soulagement ce fut un vol "RAS" comme "rien à signaler". Pourtant le pire était encore à venir!

Le lendemain, je procédais avec Anna au chargement de l’avion de tout ce qu’attendait la mission de GozBeïda: pas un emplacement qui n’ait de paquets de vivres, médicaments, vaccins en glacière, sacs de sel iodé, produits de lavage et d’entretien, bref: tout ce qui était introuvable là-bas dans l’est lointain. J’étais heureux en m’installant aux commandes sous le regard de mes trois nouveaux amis mécanos et d’Anna. Ma mission commençait vraiment.

La mise en route demanda plusieurs tentatives. Mais à l’essai de la magnéto droite, je perdis 250 tours au lieu des 150 maximum autorisés. Je coupai donc et demandai son avis à Roby qui me conseilla d’effectuer un "point fixe" pour décrasser les bougies, ce que je fis avant de couper à nouveau. Puis après quelques minutes, je remis en route, fis les essais magnéto, tout était de nouveau dans les normes.

La piste est longue à Ndjaména. Le décollage ne fut pas très confortable mais l’avion était très chargé et la température déjà élevée, me dis-je in petto pour me rassurer. Le Maule finit par décoller et monter… fort lentement et sans pouvoir accélérer. Arrivé à 300 pieds, je rentrai les 10 degrés de volets mais cela ne suffit pas à modifier drastiquement le comportement de l’avion. Bientôt je dus changer de fréquence, donner mes heures estimées de sortie de la TMA, d’arrivée à l’altitude de croisière, de passage à Mongo et d’arrivée à destination. Devant l’impatience du contrôleur, je finis par me lancer dans les calculs avec le GPS: j’étais toujours à 300 pieds et 78 nœuds, j’avais un massif de 2500 pieds à franchir et il me fallait plus de 7 heures de vol pour une autonomie maximum de 6 heures.

Renonçant à y voir une erreur de calcul, j'annonçai des soucis moteurs majeurs et priorité à l’atterrissage tout en faisant avec précaution demi-tour vers Ndjaména, à un peu plus de dix minutes de vol.

Arrivé en vent arrière, toujours à 300 pieds, je réduisis pour sortir les volets et perdis instantanément 50 pieds! Je remis immédiatement plein gaz en espérant qu’au cours du dernier virage au-dessus du fleuve Chari peuplé de charmants hippopotames, le moteur ne me lâcherait pas… Je finis par me poser lourdementsur la piste et rouler jusqu'à l’aire de stationnement où Roby et Hassan m’attendaient, soulagés de nous retrouver entiers, le pilote et le Maule. Une fois encore l’avion m’avait ramené sain et sauf et vice versa...

Pris de scrupules, je déchargeai l’avion pesant colis par colis pour découvrir une surcharge de 50kg. Je m’en ouvris à Pierre, mon correspondant, qui cette fois me répondit que là n’était pas le problème et que la place de l’avion était au hangar! Un mécano "solide" arriva deux jours après pour découvrir qu’un cylindre au moins était en déconfiture. Le cylindre fut changé, améliorant ainsi notablement les performances de l'avion pour quelque temps, ce que je pus constater deux semaines plus tard en convoyant notre nouveau médecin. Les trois autres cylindres valaient à peine mieux mais cela ce fut pour plus tard...

Entre temps un CESSNA et sonpilote vinrent d’Agades pour assurer la mission de Goz Béïda: c’est ainsi que je découvris le C182 et me fis un nouvel ami.



Ore, le 21 mai 2012


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* j'appris plus tard que l'avion avait connu quelques aléas qui avaient en partie modifié la géométrie de l'emplanture de l'aile sur le fuselage.


Nota: la tenue d’un journal de bord au jour le jour m’a permis de retranscrire sans erreur possible cette anecdote un rien technique.

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