Jour de chance (2011)

En cette matinée du 21 juin, le soleil brillait sur la Corse et une bonne brise agitait les feuilles sur les arbres. J’avais appelé ma fille deux heures avant pour lui souhaiter un joyeux anniversaire en musique en ce jour de solstice.

Nous étions un groupe de cinq parapentistes, d'un niveau moyen (moi en l’occurrence) à très élevé (pour notre brevetée d’ État). Notre cornac, un Béarnais installé depuis prés de 20 ans en Corse qui nous servait de guide, nous avait fait un tableau du site où nous nous trouvions qui nous avait laissés rêveurs et enthousiastes. Pour lui, inutile d’aller reconnaitre ce qui servait de terrain de recueil en cas de "plouf"* car le "plouf" n’était pas au programme. Précautionneux, mon groupe et moi étions tout de même passés le voir, pour constater qu’il ne serait d'ailleurs pas forcément facile de s’y poser. Mais comme ce n’était pas au programme, cela nous laissa sereins.

Toute l'équipe
Une demi-heure plus tard nous étions arrivés à l’emplacement du décollage. Las, le vent était assez fort et de travers, ce qui laissa le temps à notre cornac de nous détailler le vol prévu: après décollage, virage à droite pour capter une première "pompe", pardon, un premier thermique, qui devait nous amener un peu plus haut pour y capter une deuxième pompe nous conduisant à un premier sommet. De là, grâce à la bonne brise maritime, nous progresserions au dessus d’une ligne de crêtes, jusqu’à un sommet bien connu de nous avant de plonger sur la belle plage à proximité de laquelle se trouvait notre paradisiaque terrain de "camping"! En tout une quinzaine de kilomètres à parcourir pour aller se baigner dans les eaux bleues du golfe clair…

Nous étions bientôt tous prêts à nous mettre en vol. Le feu fut ouvert par notre cornac effectuant un décollage acrobatique vent de travers, évitant d’extrême justesse d’accrocher un arbre avant de prendre la direction de la première pompe. Un autre courageux s’élança (nous l'appellerons "le courageux") puis la compagne du cornac: ces deux là réussirent à prendre un peu de hauteur, ou à tout le moins se maintenir, elle mieux que lui, tandis que notre téméraire cornac s’engageait sur la pente descendante vers le terrain de recueil. Consternation! Bientôt le courageux prenait le même chemin tandis que, les uns après les autres, nous nous élancions sans illusions sur le profil de notre vol.

La radio retentit des conseils empressés dans lesquels transparaissait une certaine inquiétude de la part de notre cornac à notre courageux pilote pour l’assister dans la négociation de son atterrissage. Ça n’avait pas l’air de la tarte!

Puis ce fut mon tour de prendre la pente descendante. Cependant, ma voile de collection (je plaisante, 13 ans d’âge seulement) n’avait pas les qualités aérodynamiques pour prendre la voie directe: celle-ci obligeait à passer une crête pour arriver tranquillement au dessus du terrain. Je fus obligé de contourner la crête, profitant de quelques "bulles" pour gagner quelques mètres au passage. Je regardais avec envie le beau terrain qui me tendait les bras sur ma droite mais interdit d’usage depuis un an par un propriétaire sourcilleux sur le droit de propriété.


Le terrain d'atterrissage de rêve...
pas pour nous aujourd'hui!

Il ne me restait plus qu’à me laisser pousser vers le goulet par le vent, un rien "rafaleux", tiens, tiens, qui m’amènerait sur la branche "vent arrière" du circuit d’atterrissage. Jusque là j’avais bien maîtrisé mon vol, ma voile et l’atterrissage proprement dit ne m’inquiétaient pas.


Sur les Crêtes

J’étais à trente mètres du sol environ quand, en une fraction de seconde, poussée très probablement par une rafale violente due à l’effet Venturi du goulet, ma blanche voile passa de sa position normale de vol au dessus de ma tête à une position qui me la fit voir, toujours bien gonflée, se détachant sur le sol et la végétation!

Ma seule pensée fut alors: "c’est comme cela que ça arrive!"

Il me restait deux ou trois seconde de chute libre avant de m’écraser au sol. Aussi quelle ne fut pas ma surprise de me retrouver assis sous ma voile à un mètre du sol. Eh oui, j’avais rattrapé la voile dans ma chute pour "tangenter" la surface du globe. Je n’étais donc ni écrasé ni mort, mais toutefois dans une position délicate pour négocier mon retour au plancher des chèvres: devant moi un roncier et je volais au ras du sol à une vitesse/sol d’environ 80 Km/h, peut-être plus, en raison du mouvement de balancier auquel j’avais été soumis.

Je commençai par traverser le roncier pieds en avant pour finalement toucher le sol, entrainé par la voile qui, elle, n’avait pas été ralentie par la végétation… Je fis une rude cabriole sur ce sol sec et caillouteux et ma tête casquée encaissa un choc violent qui ne me fit pourtant pas perdre connaissance.

Le seul témoin (le deuxième à s’être posé) vint vers moi tandis que je me relevai péniblement, tout en prévenant les autres par radio des dangers du circuit. Quant au cornac, il était allé prendre une bière un peu plus loin dans un bistrot de campagne! Il y eut des approches difficiles dans les minutes qui suivirent mais finalement nous nous retrouvâmes tous entiers en dépit de péripéties à faire se dresser les cheveux sur le crâne d’un chauve.

Dans les jours qui suivirent je me suis plusieurs fois posé la question de savoir si je n’avais pas subi un traumatisme crânien, pour y répondre par la négative malgré quelques symptômes. Ma confiance dans les capacité d’auto-réparation de notre organisme me faisait considérer les choses avec optimisme et puis la Corse était belle, les vols splendides, les montées pour atteindre les départs certes longues et fatigantes mais je marchais mieux que certains autres, plus jeunes que moi…

Trois mois plus tard, je subis en urgence à trois heures du matin dans un hôpital parisien une double trépanation pour évacuer deux hématomes sous-duraux. Il était temps. Si j'étais opéré à Paris, c'est que j'avais quitté ma région du bord de mer pour la capitale, dans l'idée de descendre vers les montagnes par le train de nuit, afin de présider le lendemain un comité directeur de l’école de parapente…. Grâce à une coalition familiale, j’avais pu être intercepté à la descente du train à la gare Montparnasse, train que j’avais pris sans considération des mises en garde quotidiennes que m’adressait Soizic depuis plusieurs jours. Je ne disposais en fait plus vraiment de mes moyens intellectuels et mon aptitude à bien juger la situation avait décidément connu quelques ratés au cours des dernières semaines !

36 heures après l’opération, j’étais debout. Tout le monde avait eu très peur (sauf moi, décidément inconscient) et dans les meilleures traditions gauloises, le dimanche soir la famille venue de l’ouest et du sud-est était réunie autour d’une table d’un restaurant du quartier Montparnasse. Avec un rosé corse en apéritif bien sûr sauf pour moi bien évidemment condamné à ne boire que de l’eau claire ce soir là…

C’est donc par deux fois pour un même vol que la chance avait été au rendez vous ! Il s’en était fallu d’une fraction de seconde que ce ne fût l’anecdote que je n’aurais pas pu écrire.


Le Peyréga, le 30 juillet 2012

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* un plouf est un vol consistant uniquement à descendre. C'est généralement le vol en conditions de fin ou de début de journée (pas de brise, pas de thermique).

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