Chute libre (1993)

Désolé pour cette publication fort en retard. Je reviens, en changeant de vecteur pour cette fois...
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J’ai choisi "chute libre" parce que j’y suis venu après avoir définitivement quitté la "chasse" et le Crusader, exactement un an après, en automne 93 sous d’autres cieux, d’autres latitudes. C’était dans le parc du Djoudj au nord du Sénégal. J’avais effectué moins de trente sauts en trente ans, en parachute dit à ouverture automatique. Je les avais tous effectués en sautant d'un Dakota ou d'un Nord 2500, d'abord à Salon de Provence en 1963 puis ici ou là autour du monde quand j’étais chef de service sur la Jeanne en 1969/70 et enfin à Dakar en 1992/93. Mais là, il s’agissait de chute libre, il s'agissait de sauter d’un monomoteur Pilatus volant à 4000 mètres armé d’un parachute à ouverture commandée… 3000 mètres plus bas! Retrouver le grand espace, les sensations du monoplace, celles des piqués et des figures de voltige et même la possibilité de voler en "patrouille" (en vol relatif) avec d’autres, et terminer en pilotant le parachute ouvert ce qui est assez proche finalement du pilotage d’un parapente! Un vieux rêve enfin réalisé, dans un site superbe et sauvage.
Ce jour de juin 2001, je suis depuis trois jours à Pau avec un parachutiste titulaire de plus de 5 000 sauts, conseiller amical pour l’éternel débutant que je suis. Nous avions fait plusieurs vols - ou plus précisément plusieurs sauts - ensemble la veille et le jour même. En cette fin de matinée, je pars pour un saut de voltige en solo. Quelques cumulus dans les azurs entre 600 m et 1000 m, notai-je au passage, pendant la montée. Nous sommes neuf dans la cabine exiguë du Pilatus. Tout en regardant le panorama des Pyrénées dominant la plain, je me concentre sur ce que je devrai faire pendant la descente.
Arrivés à la bonne altitude, la porte s’ouvre, les premiers partent. C'est mon tour: sortie de l’avion, bras écartés en extension, tout comme la tête et le buste, rechercher la position qui se stabilise rapidement puis, du regard, identifier la zone de poser… 4000 mètres plus bas. A 20 secondes par 1000 mètres, cela donne une minute avant d’actionner le système d’ouverture, le temps d’effectuer une série de figures, tonneau gauche, droite, salto avant, salto arrière… Raté! Je me retrouve en piqué, m’efforce de retrouver la bonne position, finis par y parvenir... tout redevient conforme à ce que doit être une descente contrôlée.
2500 m à l’altimètre qui me tient lieu de montre au poignet gauche. Bon, allez, on se calme: je décide de profiter des 30 secondes qui me restent à sentir l’air qui défile à 200 kms/h. 1200 m, 1000 m, position d’ouverture: main gauche et avant-bras gauche replié, devant la tête. Ma main droite saisit le "hand deploy"*, j'étends le bras pour le larguer… C’est un système réputé fiable à 100%. Reprise de la position de descente. Dans la seconde, je vais ressentir le choc, toujours assez violent, de l’ouverture. Je vais… Je vais… Je ne ressens rien! Il ne se passe rien! Les choses vont vite dans la tête. Je me dis que cette situation est sans avenir et qu’il me faut faire ou décider de faire – ou de ne pas faire – quelque chose. Et trois solutions se présentent à mon esprit que l’adrénaline active :
  1. attendre sans rien faire en attendant que cela s’ouvre avant l’altitude de 400m.
  2. attendre sans rien faire que le secours s’ouvre automatiquement** à 300m. Mais il risque de s’emmêler dans le "hand deploy" ou bien, il risque de provoquer l’ouverture du parachute principal avec la possibilité que le tout s’emmêle…
  3. agir: larguer le parachute principal selon la procédure deux cents fois répétée mentalement et m’en remettre au secours, ce petit parachute qui m’a déjà bien servi dans d’autres circonstances.
La résolution de larguer un parachute principal n’est pas de celles que l’on prend le cœur léger, mais c’est ce que je décide de faire. Je baisse les yeux et appuie mon menton contre ma poitrine pour bien voir la boucle à droite, à la hauteur de la taille. Je la saisis de la main droite, puis saisis ma main droite avec ma main gauche, comme la procédure le prévoit. Ce faisant mon corps, déséquilibré, bascule sur l’avant: je viens en piqué accentué et tire la poignée de largage avec mes deux mains. Je n’ai pas le temps de prendre la poignée de secours que déjà le secours s’ouvre, sans temporisation. Le choc est très violent, ma colonne en prend un vieux coup et je crois que mes vertèbres vont rompre! Et puis tout à coup le calme, le silence…la sérénité retrouvée. Ouf ! Je m’en suis sorti.
Je note que je suis à la base des nuages, vers 600m. Je calcule qu’à 50 m/seconde, il s’est passé 8 secondes entre le moment où j’ai décidé d’ouvrir le parachute principal et celui où le secours s’est ouvert. 8 secondes! Pas 8 heures?... Que de choses en 8 secondes: découverte d’une situation, analyse, recherche de solutions, décision, exécution. C’est aussi cela qu’apporte la fréquentation de la troisième dimension et de l’aéronautique, avec la dilatation du temps lorsque le danger est là et qu’il faut y parer.
J’ai depuis eu l’explication de l’incident, c'est un cas qui se produit très rarement. Trois parachutistes avertis (entre 5 et 8000 sauts) m’ont depuis conforté dans ma décision de larguer le principal. La bonne solution puisque elle me permet aujourd’hui de raconter ma petite histoire.
Goz Beïda le 18 juillet 2002.

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* Le "hand-deploy" est un tout petit parachute placé sur le sac du parachute principal. Il est actionné par la main droite du parachutiste en chute et permet l'extraction de la voile principale .



** Un petit appareil provoque l’ouverture du parachute de secours à l’altitude affichée par le chuteur - en principe 300 mètres- si la vitesse de descente à ce moment est excessive (parachute non ouvert ou déchiré). Il fonctionne grâce à un système barotraumatique qui mesure la pression atmosphérique en même temps que la vitesse de croissance de celle-ci .

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